Jurés d’assises, justice citoyenne – 20/02/25
L’affaire Pélicot n’a pas arrêtée de faire parler d’elle. Cette affaire hors norme par la gravité des faits et le nombre d’accusés s’est terminé en décembre dernier. Mais parmi les 51 accusés, 17 ont fait appel relate Libération. Ils seront donc à nouveau jugés mais cette fois par un jury populaire en Cour d’assises. Une justice rendue directement par les citoyens, l’occasion de raconter une des formes les plus poussées de la démocratie en France.
Chaque année 23 000 citoyens français sont appelés à siéger comme jurés d’assise pour juger des crimes. Ces citoyens sont choisis par deux tirages au sort. Le premier est réalisé par les communes à partir des listes électorales. Les personnes sont ensuite désignées par des commissions rattachées aux Cours d’assises. Pour être tiré, il faut être, entre autres, de nationalité française, avoir au moins 23 ans, savoir lire et écrire en français… C’était le cas de François-Xavier, juré d’assise pour 4 affaires criminelles. Il nous a dévoilé les coulisses de ce statut citoyen au cœur de la justice.
Tiré au sort il y a bientôt 15 ans, le système judiciaire n’a pas cessé d’intéresser François-Xavier depuis, bien qu’éloigné de ce métier. Quand on lui a dit « Vous êtes à disposition de la Justice« , ça l’a impressionné. D’autant que cette convocation à siéger dans un jury populaire est obligatoire, sous peine d’écoper d’une amende forfaitaire de 3750€.
« Quand on arrive au tribunal, on est 45-50 et on ne nous explique pas grand chose. On nous montre un film mais on n’est pas vraiment formé. Et le lendemain matin, c’est la première affaire. 6 d’entre nous serons à nouveau tirés au sort. […] Puis, vous allez vous asseoir à côté des magistrats et là il y a une chappe de plomb qui vous tombe sur les épaules : vous êtes juré d’assises. » François-Xavier Gilbert, ex juré d’assises
Son récit montre à la fois l’intérêt d’un regard citoyen sur ces affaires mais aussi l’importance du tirage au sort dans la meilleure compréhension de la Justice française. Il se lancera d’ailleurs devant notre caméra dans un long historique des jurés populaires : un héritage de la Révolution française, la seule cour de justice où ce sont des citoyens « lambdas » qui délibèrent. A noter que cette délibération ne revient plus à juger de la simple culpabilité de l’accusé mais également de rendre un verdict précis, aux côtés des magistrats (un Président de cour d’assises et deux assesseurs). 1/3 de magistrats, 2/3 de citoyens, côte à côte et chaque voix comptera dans la décision finale.
« Seule le/la Président-e de Cour d’assises connaît le dossier. Sinon la procédure est totalement orale : vous avez une feuille, un stylo et vous notez ! Le rôle du Président c’est de vulgariser car vous ne comprenez pas forcément tout. Et puis, au fil du procès, vous vous forgez une intime conviction. […] En salle des délibérés, on discute, on débat et on peut s’opposer à ce que disent les magistrats. Et donc chacun décide, 9 personnes, 9 voix. » François-Xavier Gilbert, ex juré d’assises
Il faudra deux tiers des voix pour condamner quelqu’un et encore deux tiers pour décider de la peine. 9 personnes qui votent dans une urne « à l’ancienne, de manière très artisanale » souligne, souriant, François-Xavier. On sent son enthousiasme pour le processus, même en cas de désaccord avec la décision finale du jury, comme ça a pu lui arriver dans une affaire de viol. Une situation difficile dans laquelle on ne l’a pas accompagné à la fin de sa mission ponctuelle. Une fois renvoyé chez lui, il n’a aucun soutien psychologique ou accompagnement.
Les jurés d’assises bénéficient tout de même d’un statut particulier. Ils sont obligés de s’investir dans leur devoir de citoyen sous peine d’une lourde amende. Par contre, ils sont indemnisés financièrement pour chaque journée en tant que juré à partir de 101€ par jour. Et leur voix compte énormément dans la décision de justice finale.
Une inspiration pour la démocratie participative
Ce statut devrait en inspirer un autre, le “statut de citoyen participant”. Ce statut est en train d’être défini en France pour encadrer les règles de la participation citoyenne comme le mentionnait la revue DémocratieS l’année dernière. Lors des conventions citoyennes nationales sur le climat ou la fin de vie, les participants ont déjà été indemnisés financièrement par exemple. Mais à la différence des jurés d’assises, les citoyens ne sont pas obligés de participer et leur décision n’est pas non plus contraignante et donc respectée.
Avec le statut de citoyen participant, l’idée est aussi d’uniformiser et de généraliser les règles de la participation citoyenne à l’échelle nationale. Car, aujourd’hui, il existe de grosses disparités selon les instances. Un statut qui permettrait d’impliquer davantage mais surtout plus finement les citoyens dans la démocratie.
D’autant que ces expériences marquantes peuvent être révélatrices pour les participants, comme cela a été le cas pour François-Xavier. Il est, depuis 15 ans, retourné à de nombreuses reprises à des procès pour suivre les plaidoiries, en cour d’assises ou en correctionnelle.
« J’avais besoin de revivre ces histoires ! Il y a toute une mécanique autour de tout ça : exaltante, pesante… ça ne vous laisse pas indemne. J’ai plus confiance maintenant dans la Justice. J’envisage même de reprendre des études de Droit à ma retraite ! » François-Xavier Gilbert, ex juré d’assises
Participer c’est aussi s’informer et, généraliser cette participation citoyenne pourrait donc aussi avoir un impact sur le rapport aux élections, à la citoyenneté. Les conventions/assemblées citoyennes s’y essaient, à l’image de celle de Poitiers que notre média suit de près. Mais, elles auraient tout intérêt à pouvoir s’appuyer sur un statut clair de ce citoyen participant aux décisions collectives : indemnités, obligations de participation, codécision avec les élus et surtout respect de ces décisions dans la procédure. Autant de conditions nécessaires au plein exercice de la démocratie participative.
Et pourquoi pas des vocations révélées comme pour François-Xavier.
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Réalisation et montage : Margaux Courbon