Guadeloupe : crise de l’eau, que fait l’État français ?

Une dizaine de Guadeloupéens vont être indemnisés par l’État français pour « préjudice moral d’anxiété » : leur exposition au chlordécone au cours de leur vie et leur inquiétude sur le sujet légitiment ce verdict. Dix indemnisations sur presque 1300 plaintes. Une toute petite victoire qui montre un problème plus large de santé publique : la pollution de l’eau dans ce département ultramarin et nous invite à considérer plus largement la crise de l’eau et le traitement de ces citoyens français.

Depuis 2020, Sabrina Cajoly s’engage justement sur la question de l’accès à l’eau potable en Guadeloupe. Comme beaucoup de territoires dits d’Outre-mer à l’instar de la Martinique et de la Nouvelle Calédonie, le département français est secoué par de fortes inégalités économiques et sociales. Le taux de pauvreté y est 5 à 15 fois plus important que dans l’Hexagone selon l’INSEE et le coût de la vie extrêmement élevé. 

Depuis plus d’une trentaine d’année, l’île connaît des coupures d’eau et une forte pollution. Alors, quand le département organise des « tours d’eau », que l’eau courante est polluée par de forts taux de chlordécone, voire des excréments, il faut se ravitailler en bouteilles ou installer des réservoirs. Des achats au coût bien trop élevé pour la plupart des Guadeloupéens. L’État français a pourtant l’obligation d’assurer cet accès à l’eau potable pour l’ensemble de ses citoyens, et c’est ce que nous explique Sabrina Cajoly, juriste et fondatrice de l’association Kimbé Rèd French West Indies.

Une situation stagnante qui a poussé la juriste à mettre en place des recours, à différentes échelles, avec son association Kimbé Rèd West Indies. Elle s’est aussi bien tournée vers la justice française, les Nations Unies que l’Europe. Au niveau européen, c’est vers le Comité européen des droits sociaux qu’une réclamation a été formulée. Rattaché au Conseil de l’Europe, ce Comité a pour mission de s’assurer que la Charte sociale européenne soir bien appliquée par les États membres. Il s’agit d’un traité international qui aborde tous les droits socio-économiques fondamentaux, portant une attention particulière à la non-discrimination et à la protection des personnes vulnérables. Adopté par la France dans les années 1970, les territoires d’Outre-mer n’y ont jamais été inclus, légitimant du même coup une inégale citoyenneté entre l’Hexagone et ces départements ultramarins.

Être obligés de réclamer sa pleine citoyenneté

Depuis deux ans, plus de 70 experts des Nations Unies ont émis, à de nombreuses reprises, des recommandations à l’État français lui demandant de prendre des mesures d’urgence, mais aussi d’apporter des réparations et indemnisations aux citoyens impactés. Des recommandations non contraignantes juridiquement pour la France.

En saisissant le Comité européen des droits sociaux, l’association Kimbè Red a été soutenue dans ses démarches par la Fédération internationale pour les droits humains et la Ligue des droits de l’Homme française. Lorsque la juriste l’a saisi, en 2024, la France s’est alors opposé à ce recours. Et ce, même quand la (CNCDH) Commission nationale consultative des droits de l’homme pointe « une différence de traitement totalement infondée à l’encontre des populations résidant dans ces territoires ». Un traitement qui renforcerait donc les inégalités. Et ce n’est pas le seul territoire concerné, comme on le détaillait dans une infographie récente.

Leur réclamation est en cours d’étude au Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe. Une décision qui pourrait changer la donne pour les citoyens ultramarins, en actant enfin que leur citoyenneté n’est pas au rabais.

[Mise à jour du 07/04/25 : leur réclamation au Conseil de l’Europe a été jugée irrecevable depuis le tournage de notre vidéo et la publication de cet article. Le Comité européen des droits sociaux reconnait que ces citoyens sont discriminés vis-à-vis de l’Hexagone mais n’impose pas de remédier à cette « exception ». La responsabilité en revient, encore, à l’État français.]

Réalisation et montage : Perrine Bontemps / Article : Judith Faye