CNDP – Le débat public est un droit à défendre – 24/03/2025
Si on voulait installer un réacteur nucléaire, des éoliennes en mer ou une mine de lithium près de chez vous, vous voudriez avoir votre mot à dire, non ? Parce que ce sont des gros projets industriels à fort impact environnemental et qu’ils impliquent l’installation d’équipements massifs et donc la transformation de votre territoire. C’est normal que les citoyens puissent au moins comprendre, discuter et donner leur avis sur ces projets. C’est encore obligatoire pour le moment ! Mais peut-être plus pour longtemps.
Pour le moment, les constructeurs ont l’obligation d’organiser un débat public ou une concertation avec tous les acteurs du territoire concerné, du moins pour les gros projets industriels (plus de 600 millions d’euros). Autrement dit, si quelqu’un veut poser sa centrale près de chez vous, il doit inviter habitants, politiques, associations et industriels autour de la table. Ils doivent discuter à la fois de ses risques environnementaux comme de son intérêt économique.
Et pour que ce débat se passe le mieux possible et que tout le monde ait son mot à dire, on a une institution : la Commission nationale du débat public, ou CNDP. C’est une autorité administrative indépendante (AAI) qui est publique mais pas rattachée à un ministère. La CNDP joue les chefs d’orchestre de ces discussions. Elle est là pour garantir un droit constitutionnel assuré par la charte de l’Environnement : celui des citoyens d’être informés et de participer aux décisions environnementales qui les concernent.
Discuter, faire démocratie
Sauf que, depuis quelques mois, le gouvernement a décidé que ça ne lui plaisait plus vraiment et voudrait supprimer l’obligation d’organiser un débat public pour les gros projets industriels. Un décret pourtant contesté par les citoyens interrogés, selon Acteurs Publics. C’est une tentative d’affaiblir une autorité indépendante, une des seules institutions nationales de démocratie participative. Ce qui pousse une partie des salariés de la CNDP à se mettre en grève. Nous avons rencontrés Florent Guignard, garant CNDP et délégué du personnel, et il nous a expliqué le fond derrière cette mobilisation. Si le décret est adopté, les industriels n’auront plus l’obligation de saisir la CNDP, d’informer le public de leur projet, et d’ouvrir un débat.
« Pour nous c’est une atteinte assez forte à un droit, qui est un droit constitutionnel. C’est un impact que chacun-e peut mesurer. Je pense que personne n’aurait envie de voir un projet industriel en face sans avoir au moins le droit d’être informé et d’avoir son mot à dire. » – Florent Guignard
Ces dernières années, les projets industriels sont mis en avant car nous sommes dans une phase de réindustrialisation. Il y a donc de nouveaux projets, parfois très importants. Florent Guignard prend l’exemple d’un débat sur la mine de lithium dans l’Allier, en Auvergne, vu aussi dans Le Monde. Cette mine pourrait s’étendre sur plusieurs dizaines d’années, et extrairait plusieurs dizaines de milliers de tonnes de minerai de lithium par an, ce qui pourrait avoir un gros impact sur les habitants.
« Ça nous semble important d’associer les citoyen.nes à ces projets. (…) La CNDP a organisé le débat et a permis aux citoyen.nes d’êtres informés sur le projet. Connaître les ordres de grandeur, la consommation d’eau, d’électricité et gaz, l’impact carbone, l’impact sur le nombre de camions sur les routes, sur les voie ferrées etc. Ça permet de mettre ces éléments sur la table et d’en discuter. On pense que s’il n’y a pas cette phase de débat, ça pourrait conduire à des situations beaucoup plus conflictuelles, voire dans le pire des cas, à ce que ça dégénère. » – Florent Guignard
Il faut quand même souligner que la CNDP a des pouvoirs assez limités. Les bilans et rapports émis à la suite des débats ne sont pas contraignants, comme dans beaucoup de dispositifs participatifs. La CNDP reste neutre mais son avis n’oblige pas directement les industriels ou les élus. Par contre, ces débats permettent de clarifier les enjeux de ces projets, de donner la parole à tout le monde et de mettre les projecteurs médiatiques et citoyens sur des projets à fort impact environnemental.
Coup de projo sur l’impact social et environnementale
Par exemple, Delta FM parle de Gravelines, près de Dunkerque, où ils ont été sollicités car deux réacteurs EDF pourraient rejoindre le parc nucléaire local. Et après des mois de débat, leur bilan pointe de nécessaires et nombreuses clarifications. Des demandes formulées à l’État sur la politique énergétique des années à venir, donc l’utilisation de ces réacteurs par EDF. Ils soulignent également l’importance pour l’État et EDF de faire des études de santé sur le long terme pour vérifier l’impact de ce parc nucléaire sur les habitants. Sur l’apparition de cancers entre autres. Et évidemment, de continuer à se concerter avec les habitants sur ce projet.
Ces recommandations sont toujours envoyées à l’État, aux élus locaux et aux industriels mais également aux habitants. Un bilan important même si non-contraignant qui a souvent des effets sur les projets et leur réalisation nous dit Florent Guignard. Une piste pour comprendre pourquoi le gouvernement veut supprimer cette obligation de solliciter la CNDP.
« Deux tiers des projets qui sont accompagnés par la CNDP sont modifiés significativement. Typiquement, un projet de parc éolien offshore a été déplacé car c’est ce qui ressortait du débat sur son emplacement. Il y a des projets qui sont abandonnés à la suite du débat, d’autres qui sont confortés. On ne dira jamais si c’est un projet bon ou mauvais, par contre, on offre la possibilités aux citoyen.nes de s’en emparer et d’émettre eux cet avis. » – Florent Guignard
Ce projet de décret a été amené la première fois par Gabriel Attal au nom de la réindustrialisation, pour accélérer les procédures. L’idées est ensuite reprise par Michel Barnier, deux jours avant la censure, puis récupéré par le gouvernement de François Bayrou. Le projet avait été retoqué en décembre par le Conseil d’état, selon 20Minutes, mais il est réapparu sous forme d’amendement. Un des arguments du gouvernement à l’encontre de la CNDP, est qu’elle ralentirait l’installation des projets.
« Dans les faits (…) la saisine est obligatoire pour les projets de plus de 600 millions d’euros. On parle de très gros projets industriels. La CNDP ne les retarde pas, au contraire c’est une étape qui se fait en parallèle de pleins d’autres étapes, et qui permet soit de les enrichir, soit de les modifier, soit de les abandonner. » – Florent Guignard
Ce projet de décret a été soumis à une consultation d’un peu plus de 4000 personnes. Seulement onze d’entre eux sont pour la suppression de cette prérogative de la CNDP. Pour Florent Guignard, cela confirme que c’est l’institution qui est attaquée par l’Etat. Et, en filigrane, les institutions démocratiques, et les institutions démocratiques environnementale.
En plus de ce mouvement de grève du 25 mars, la CNDP a écrit une tribune dans Le Monde accompagnée d’une pétition afin de permettre à chacun de montrer que c’est un droit important pour eux. Alors même si ce décret met en péril une possibilité de communication entre les citoyens et le gouvernement, d’autres solutions existent comme les référendum d’initiative citoyenne qui a été le sujet d’une de nos vidéos.
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Réalisation et montage : Elliot Clarke / Article : Flavie Roussel