FILMOCRATIE #1 : LA DÉMOCRATIE À (L’É)CRAN – 22/01/24
Le cinéma peut aussi bien nous faire rêver que cauchemarder, mettre en lumière certaines réalités ou nous les faire oublier. Alors quel rôle ces films jouent-ils sur nos imaginaires politiques ? En ce début d’année, on voulait mettre un coup de projo sur les films français qui parlent de vivre-ensemble, pour voir s’ils présagent le meilleur ou le pire pour notre société.
Le cinéma français a une longue tradition de films politiques mais ça fait quelques années qu’on y parle vraiment de démocratie, des décisions collectives qui influencent nos quotidiens. Le dernier en date, c’est Bâtiment 5 de Ladj Ly. Le réalisateur se penche sur le mal-logement mais surtout sur l’exercice du pouvoir dans les quartiers populaires. Il y développe des personnalités tranchées (clichés diraient certains critiques) qui donnent pourtant à voir la réalité de terrain : la déconnexion politicienne d’un côté et la colère populaire (violente ou non) de l’autre.
« – Je n’ai plus le dossier en tête mais je peux vous dire que la ville fait vraiment de son mieux pour rénover ce quartier. – Bah non justement ! » Bâtiment 5, Ladj Ly
Les habitants se battent avec un maire aux relents racistes qui veut gentrifier le quartier pour les plus aisés. La mairie restera donc sourde à leurs revendications, à l’opposé de ce qu’on attend des élus. C’est un réel désaveu de nos représentants politiques dont le réalisateur parlera d’ailleurs en interview avec Blast. La politique, il n’y croit plus, et c’est le goût amer que nous laisse le film, l’impression que la rupture avec la classe politique est totale et que toute tentative de redémocratiser nos institutions est vaine. Alors, vu qu’on parle de banlieue, certains brandiront comme bouclier les mots intégration, communautarisme ou séparatisme. La rupture ne viendrait pas d’en haut mais des gens, surtout en quartier ! Sauf que Ladj Ly n’est pas le seul à ne plus croire en cette classe politique déconnectée !
Sur un registre beaucoup plus léger, deux films Présidents et En même temps, sortis à 1 an d’écart, juste avant la Présidentielle, tournent également au ridicule la politique politicienne. Dans les deux films, les frontières entre les partis et les idées politiques n’existent plus. A l’image d’un Macron ni de droite ni de gauche, les duos de ces deux films sont collés (parfois littéralement) à leur rôle politique plus qu’aux réalités et aux exigences de terrain, des citoyennes et citoyens.
« On commence par créer un parti, je sais pas… « La France pour toujours » par exemple. On fait la campagne et je suis, enfin, on est élus ! » Présidents, Anne Fontaine (2021)
Et c’est ça qui ressort du cinéma « politique » français ces dernières années : l’absurdité du jeu politique face aux multiples crises, économiques sociales et environnementales, que rencontrent les gens au quotidien. C’est ce que Ladj Ly dénonce avec colère dans Les Misérables ou Bâtiment 5 mais aussi Gustave Kervern ou Anne Fontaine dans leurs comédies, c’est ce que montrent les chiffres de l’abstention, les mouvements de désobéissance civile et malheureusement la montée de l’extrême droite.
C’est pour ça que ces films, ils sont plus que nécessaires aujourd’hui. Parce qu’avant de rêver, il faut voir la réalité en face : la démocratie est en crise, qu’on en rit ou qu’on en souffre.
Mais le cinéma contrairement au réel doit aussi nous donner à espérer. Dans Bâtiment 5, le personnage d’Haby s’inspire des mouvements de jeunesse émergents pour répondre à cette défiance. A l’image des mobilisations écologiques ou antiracistes. Et, dans Présidents, le faux duo Sarkozy-Hollande, face à l’échec électoral, laissera (malgré lui) la place aux Femmes pour tenter de renouveler la vie politique.
Dans les urnes ou sur le terrain, ces personnages inspirants ouvrent timidement des portes. Ils nous donnent un peu d’espoir, présagent d’un renouveau démocratique qui se propage petit à petit dans les quartiers, les associations voire les partis.
En plein combat autour de la loi immigration, dans un climat xénophobe, le film Le Règne animal joue magiquement ce rôle. Dans un futur proche où les humains muteraient, y compris nos proches, quel accueil leur serait réservé ? Thomas Cailley interroge avec poésie notre rapport à l’autre, à la différence et à l’intégration en utilisant le cinéma comme miroir grossissant de l’actualité. Il y exacerbe certaines peurs, rappelant les pires moments de notre histoire mais pointe également des réponses très humaines à y apporter.
Loin de proposer un « Happy End » hollywoodien, ce film tout en nuance joue suffisamment avec la fiction, avec nos imaginaires pour laisser entrevoir des pistes de solutions pour le vivre-ensemble. Mais peut-être que le cinéma devrait nous proposer d’autres futurs que les crises qui nous attendent. C’est aussi aux cinéastes d’explorer ces utopies pour lesquelles nous nous battons déjà au présent et ainsi nous aider à construire l’avenir.
Réalisation et montage : Elliot Clarke