Filmocratie #2 : les lobbies en lumières

Bienvenue dans Filmocratie ! Pour ce deuxième épisode, on voulait parler des lobbies, ces “influenceurs” politiques et surtout de la manière dont le cinéma les met en images. 

A l’approche des élections européennes, c’était important de se pencher sur Bruxelles, et plus particulièrement sur l’influence des entreprises, des cabinets de conseils, syndicats et assos, dans les décisions publiques. 

De nombreux films et séries tentent de mettre en lumière ce travail de l’ombre des lobbistes et leur impact sur la démocratie, en France et ailleurs. Avec une grande question, le cinéma pourrait-il lui aussi influencer les politiques ? 

50 000 lobbyistes travaillent en permanence à Bruxelles pour orienter les lois européennes, et donc également la France. Vous imaginez ? ça fait presque un lobbyiste par fonctionnaire européen. En soi, défendre des intérêts, pourquoi pas mais les intérêts de qui ? Le bien commun ? Les citoyens ? Mais lesquels ?

Dans les faits, les plus gros lobbies c’est le Tabac, pesticides, médicaments, énergies fossiles, une multitude d’industries et de multinationales défendues par des mecs en costume dans les couloirs des Parlements, y compris européen. C’est ce qu’essaie de raconter depuis 4 saisons et avec humour la série Parlement.

Le jeune Samy déboule à Bruxelles pour assister son député européen et tombe directement dans le piège de ces “influenceurs” politiques. Il va mettre une bonne saison à s’en remettre et à naviguer (commission Pêche oblige) dans les couloirs du Parlement européen. 

Vu que le sujet est chiant et très technique, en parler avec humour c’est malin, ça décale un peu notre vision de la politique et ça permet de découvrir ces horreurs sans flipper directement. 

Et puis ce travail d’influence, après tout, il est légal ! Juste très difficile à contrôler : les lobbies doivent le déclarer (ce qu’ils ne font pas tous), le faire avec éthique et respect (ce qu’ils ne font pas tous) et surtout sans monnayer les décisions politiques… silence…

Dans les faits, sans parler de corruption, il y a d’énormes inégalités de pouvoir et surtout de moyens financiers entre des gros lobbyistes privés et des petites associations ou citoyens militants. Et ça se fait sentir chez les élus, dans les rapports qu’ils reçoivent ou les gens qui les contactent, et sur des sujets majeurs.

On l’a vu avec la révolte des agriculteurs en février dernier : la FNSEA, le puissant syndicat agricole français, a pris leur colère en charge et a discuté avec le gouvernement. L’ennemi N°1 est alors devenu le pacte vert européen, la transition écologique plutôt que les abus de l’industrie agro-alimentaire OU les demandes de revenus justes pour les agriculteurs. Quand les lobbistes parlent, les politiques écoutent et décident en fonction.

Cet épisode nous rappelle un peu le débat sur l’interdiction du glyphosate qui a inspiré un film terriblement important sur le sujet : Goliath. En lobbyiste sans foi ni loi, Pierre Niney fait flipper. Il fera tout pour défendre le pesticide du film contre un Gilles Lellouche dépassé par les événements. C’est ce qui s’était passé en 2015 avec le glyphosate : soupçonné d’être cancérigène, l’EFSA, l’agence européenne de sécurité alimentaire, avait fini par le réautoriser pour 5 ans. EFSA dont près de la moitié des membres sont en conflit d’intérêt avec l’industrie agro-alimentaire. Une industrie qui a tout à gagner à l’usage de cet herbicide cancérigène.

Le film Goliath est haletant et rend accessible et humains ces sujets très techniques et opaques. Les couloirs de Bruxelles prennent des allures de thriller, les victimes ont des visages, mais aussi leurs bourreaux : ces lobbyistes avides d’argent et de pouvoir. 

A une époque où les citoyennes et citoyens demandent plus de transparence de la classe politique et de leurs décisions, c’est important de mettre en image et en histoire ces scandales politiques et sanitaires. 

Parce que oui, derrière ces discussions de couloirs, ces rapports de soit-disant experts financés par les entreprises elles-mêmes, se cachent souvent des enjeux de santé publique ou des désastres écologiques. Et ce lobbying a un impact jusque dans nos assiettes, ou plutôt, nos casseroles. Et, quand on met le nez dedans, c’est effrayant.

Dark Waters et Goliath dénoncent en miroir : l’un le glyphosate, l’autre le téflon, ce revêtement de nos ustensiles de cuisine qui est également un polluant éternel cancérigène. Ces films racontent ces scandales mais mettent aussi en lumière celles et ceux qui défendent nos intérêts à nous, les citoyens, les consommateurs. Les associations, les citoyens et leurs avocats, ceux des deux films en tout cas, vont se battre sans relâche contre ces géants de l’industrie et leurs alliés politiques pour dénoncer ces scandales internationaux. Parfois au péril de leur vie privée ou de leur carrière.

Dans Dark Waters, ils l’emporteront et feront payer des millions de dollars à l’entreprise en cause. Une victoire financière inspirée de la réalité qui n’arrêtera pas pour autant la commercialisation mondiale de ces outils de cuisine, encore utilisés aujourd’hui, 20 ans après leur condamnation. 

Le combat contre le téflon continue donc, y compris en France et tout récemment par une activiste chevronnée : Camille Etienne.

Avec un documentaire, Toxic Bodies, et une forte campagne de lobbying citoyen sur les réseaux et auprès des députés, elle a réussi à faire limiter l’usage de certains de ces polluants, mais toujours pas dans nos casseroles… Merci Téfal.

L’enjeu derrière ces films c’est de comprendre l’influence qu’ont les entreprises et multinationales sur la fabrique de la loi et l’impact de ces lois sur notre vie de tous les jours. Qu’on croit dans les élections importe peu : les élus dirigent et sont en première ligne face aux lobbies. Autant bien les choisir en cette veille d’élection européenne. 

En attendant, le cinéma, comme les associations ou les citoyens, joue son rôle de sensibilisation et de mise en lumière simple de ces enjeux politiques majeurs. 

Si les films de cowboys ont longtemps fait la promo de la cigarette, peut-être que maintenant le cinéma pourra influencer les décideurs politiques pour notre santé ou pour la planète.

Réalisation et montage : Elliot Clarke