SCOP : démocratisons le travail – 13/05/24
Dans le paysage économique français, où les entreprises pyramidales dominent, Le Pain des Cairns, une boulangerie coopérative située à Grenoble, fait figure d’exception. Depuis sa transformation en société coopérative en 2017, cet établissement prône un modèle de gestion horizontal et participatif. Exit les chefs et la hiérarchie rigide : ici, chaque salarié partage responsabilités et décisions dans un cadre démocratique. On a pu suivre son équipe au milieu des croissants chauds.
Inspirée des principes de l’holacratie, théorisée par l’entrepreneur américain Brian Robertson, la boulangerie fonctionne sans managers. Les rôles y sont définis collectivement et attribués selon le volontariat, le tirage au sort, ou encore une méthode d’élection sans candidat. Ce dernier procédé met en lumière les compétences et les qualités perçues par les autres membres, favorisant une valorisation souvent insoupçonnée des salariés.
Ça permet de valoriser certaines personnes qui ne se valoriseraient pas elles-mêmes si on ne leur disait pas ‘bah ouais, je te vois bien dans ce rôle-là aujourd’hui’. Ambre Sorgato, boulangère-sociétaire du Pain des Cairns
Les décisions ne sont pas toujours collectives, mais les salariés jouissent d’une autonomie significative. Par exemple, ils peuvent prendre des décisions financières dans une limite budgétaire définie. Les grandes orientations stratégiques sont débattues au sein de cercles spécifiques, où chacun a la possibilité de s’exprimer sur des sujets clés.
Une organisation tournée vers l’humain
L’un des principes fondamentaux du Pain des Cairns est de partager le pouvoir et les responsabilités, ce qui favorise l’investissement personnel des salariés. Ces derniers alternent entre leurs rôles de boulangers, vendeurs et gestionnaires, tout en participant activement à des formations en gouvernance partagée pour affiner leurs compétences décisionnelles.
« Notre raison de vivre c’est ça : ‘Nous coopérons pour nous épanouir dans une boulangerie humble et solidaire qui prend soin de sa relation avec ses clients et est ouverte au monde‘. » Ambre Sorgato, boulangère-sociétaire du Pain des Cairns
Ce modèle horizontal offre une souplesse organisationnelle qui contraste avec la rigidité du management traditionnel. Bien que ce système puisse être chronophage, ses avantages sont indéniables : il encourage la créativité, l’innovation, et améliore la qualité de vie au travail.
Une vision pour le futur
Le Pain des Cairns illustre une tendance émergente au sein des entreprises : celle de l’organisation libérée. Des géants comme Décathlon ou Danone s’intéressent également à l’intégration partielle de ces principes. L’objectif commun ? Transformer l’entreprise en un espace de coopération où chaque voix compte.
« On fait une réunion tous ensemble une fois par semaine. Sinon, on a une autonomie sur les petites décisions quotidiennes : créer un nouveau pain, des dépenses de moins de 500€. Parce que c’est trop lourd de tout décider à seize tout le temps. » Ambre Sorgato, boulangère-sociétaire du Pain des Cairns
Cependant, tout n’est pas idyllique. Ce modèle exige une capacité d’adaptation et un engagement collectif fort. Certaines entreprises ayant testé l’horizontalité ont finalement fait marche arrière, jugeant ce modèle inadapté à leur structure ou à leur culture d’entreprise.
Au-delà de sa production de pains savoureux, Le Pain des Cairns porte un message plus large. En repensant les règles du travail et du pouvoir au sein de l’entreprise, cette boulangerie invite à réfléchir sur la place de la démocratie dans l’économie. Comme l’explique Isabelle Jorge de l’Union régionale des SCOP Auvergne Rhône-Alpes : « Aujourd’hui, on vit dans une économie de marché où le marché est vraiment partout. Agir sur l’entreprise c’est aussi agir au niveau sociétal. Pourquoi le champ économique échapperait-il à cette règle du vivre-ensemble ? »
Dans un monde où les entreprises ont parfois un impact plus grand que des États, Le Pain des Cairns rappelle que repenser l’organisation du travail, c’est aussi agir pour un avenir plus juste et plus solidaire.
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Réalisation et montage : Raphaëlle Vivent