Filmocratie #4 : le journalisme fait son cinéma

Bienvenue dans Filmocratie, dans ce nouvel épisode, on voudrait creuser avec vous l’influence des médias dans notre société. Et, plus généralement, du journalisme sur la démocratie. Et quoi de mieux que le cinéma pour en dresser le tableau ?

Les cinéastes ont toujours eu un rapport d’admiration envers cette profession. Peut-être parce que journalistes et cinéastes ont cette passion commune pour les images et les histoires touchantes. De nombreux films dressent ainsi le portrait de journalistes héros. Faisant ainsi honneur à la profession. Mais pas que ! Les journalistes peuvent aussi être manipulés ou corrompus, ce que le cinéma n’a pas raté. Leur point commun c’est qu’ils détaillent tous avec brio l’importance de l’info !

De nombreux films font la part belle à ce qu’on appelle souvent le 4ème pouvoir : celui des médias face à l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Un pouvoir majeur dans toute démocratie qui se respecte : celui d’informer le peuple sur la société. Particulièrement sur celles et ceux qui y prennent les grandes décisions. C’est ce que nous montre Tom McCarthy dans l’excellent Spotlight.

Une équipe de journalistes s’attaque à un énorme scandale de pédophilie dans l’Eglise catholique. Une année éprouvante d’enquête où tout le monde essayera de leur faire obstacle : l’Eglise bien sûr. Mais aussi la Justice américaine et les politiciens de Boston. Un thriller étouffant qui illustre parfaitement la lutte journalistique pour la vérité dans un monde où les grandes puissances agissent dans l’ombre et le mensonge. On comprend dans Spotlight comme dans les Pentagon Papers de Spielberg, que des journalistes libres, protégés et soutenus, c’est une société plus transparente et donc plus saine.

Les deux films sont tirés d’histoires vraies. Et ils illustrent aussi à merveille les dangers de telles enquêtes : pour les journalistes, leurs carrières et parfois leurs vies. Par ex, En France, en juillet dernier, un site d’extrême droite publiait, une liste de journalistes et personnalités à abattre d’une balle dans la tête. A cause de leur travail… c’est intolérable, et on ne peut que les admirer de continuer à informer.

Même si ce métier n’a rien de sacré. Les journalistes peuvent, comme les autres, être critiqués ! Parce que les médias appartiennent souvent à des milliardaires, parce que les journalistes prennent aussi parfois goût à cette proximité avec le pouvoir. Dans la série House of Cards, par exemple, la journaliste Zoé Barnes copine avec la classe politique américaine.

Elle gagne en notoriété en publiant des scoops livrés par le futur Président des Etats-Unis et booste sa carrière. Mais elle se fait aussi manipulée par la sphère politique. Un jeu qu’elle accepte de jouer, contre toute éthique journaliste. Jusqu’à ce que, trop proche d’une conspiration, voulant se ressaisir, elle finisse par se brûler les ailes… Un des plus gros choc de la série d’ailleurs, tant le dénouement de ce personnage est choquant.

Cette proximité du métier avec le pouvoir et l’argent n’est pas nouvelle pourtant. Balzac déjà la racontait au XIXème. Une adaptation récente de ses Illusions Perdues au cinéma nous a récemment éblouie de ce spectacle honteux pour la profession.

Un jeune poète « provincial » débarque à la Capitale et se fait corrompre par les jeux de pouvoirs de la bourgeoisie parisienne. Avec la complicité de journalistes désabusés. A l’époque déjà, les journaux sont détenus par des actionnaires avides. Des entrepreneurs au service de politiciens qui le leur rendront bien. La vérité n’a plus sa place quand c’est l’argent qui dirige. Et l’argent, notre héros en manque cruellement, ce qui le fera basculer. On voit bien dans ce film à quel point une information, entre de mauvaises mains, peut nuire aux citoyens. Mais aussi l’importance de médias indépendants politiquement et financièrement.

C’est pour ça que ces Illusions perdues sont aussi les nôtres, aujourd’hui. « Les journalistes seraient tous pourris », « au service de l’Etat », du Capital pour la Gauche, des Wokistes pour la Droite. La vérité c’est que les médias sont aux mains de milliardaires de plus en plus proche de l’Extrême-Droite et que leurs journaux ou chaînes n’ont plus rien de journalistique. L’éditorialisme a pris le pas sur l’enquête et l’analyse des faits. Et en perdant la confiance envers les médias mainstream, nous perdons aussi notre contre-pouvoir démocratique : celui d’être bien informés.

Le cinéma nous aide à nuancer ce constat. Il fait la part belle aux figures journalistiques héroïques mais ne rate pas celles qui se corrompent au contact du pouvoir. Il nous alerte dans les deux cas de l’impact positif ou négatif des médias sur notre société.

Il ne manque pas aussi de raconter les lieux où l’information n’a plus sa place. Car, contrairement au journalisme, la fiction, elle, peut et doit s’affranchit du réel. Le cinéma  peut et doit raconter nos inquiétudes très présentes pour le futur du métier de journaliste et de la démocratie.

Dans Civil Wars de Alex Garland, les Etats-Unis ne le sont plus. Une guerre civile a éclaté et nous y suivons des journalistes en danger, comme dans beaucoup de pays réellement en guerre ou de dictatures de notre époque. Des journalistes cyniques, désabusés qui pensent plus à survivre à leurs scoops qu’à ce qu’ils racontent. Au milieu du chaos, quand le peuple est éclaté et que la guerre ravage un pays, les journalistes perdent définitivement leur droit à informer. Et c’est ça que nous livrent les films sur les journalistes de guerre : la fragilité d’une profession essentielle pour comprendre l’époque et l’actualité. Un regard nécessaire sur le monde quand tout le monde voudrait qu’on ferme les yeux. Comme dans le film Camille qui retrace les derniers mois de Camille Lepage en Centrafrique, comme les images bien réelles que de courageux journalistes ou citoyens nous envoient chaque jour de Palestine.

Le journalisme est donc une profession dont on doit admirer le travail sérieux et critiquer les abus. Un contre-pouvoir essentiel pour la démocratie que le cinéma va continuer à raconter. Un métier que nous devons, nous, continuer à protéger pour éviter que l’information ait un clap de fin.

Réalisation et montage : Elliot Clarke