Filmocratie #5 – ZAD, communautés et utopies, quel monde d’après ? 30/12/24
Vous avez passé de bonnes fêtes ? C’est quoi vos bonnes résolutions pour 2025 ? Nous, avec MOB, on espère, un tout petit peu, participer à changer le monde ! A améliorer le vivre-ensemble en racontant problèmes ou solutions démocratiques. La fiction est censée permettre d’inventer ces mondes imaginaires, des sociétés rêvées, des utopies à bâtir.
Pour ce 5ème épisode, on voulait donc parler des films avec des communautés ou des mode de vie alternatifs. Des gens qui essaient de faire différemment quoi. Pour voir si le cinéma pourrait nous aider à imaginer ce « monde d’après ». Et c’est ce qu’on va checker dans Filmocratie !
L’année 2024 a été assez catastrophique pour la démocratie : 71% de la population mondiale vit en autocratie, des régimes où ceux qui gouvernent décident eux-mêmes de leur propre pouvoir. Et l’arrivée imminente de Trump à la Maison Blanche ne va rien arranger. Avant d’inventer de nouveaux modèles, faire démocratie c’est donc avant tout résister à un modèle dominant, à ces régimes autoritaires ou juste en désaccords avec nos principes. Des ZAD, zones à défendre, émergent depuis longtemps en France mais aussi au cinéma. Des films qui racontent ces combats avec plus ou moins de succès.
Les clichés sur ces communautés ont la vie dure. Et sur les chaînes d’info ou dans les films, on préfère souvent s’en moquer.
« – Oh il s’appelle comment le bout de chou ? – L’enfant. – Non mais son prénom ? – Ah bah je lui ai pas collé une étiquette à la naissance hein ! » Problemos – Eric Judor
Problemos, le film d’Eric Judor tourne au ridicule une communauté en lutte contre la construction d’un parc aquatique. Il y sera d’ailleurs le personnage principal, balancé pour ses vacances au milieu de « Sales hippies aux idées ridicules ». Genre qui ont appelé leur enfant : « l’enfant ». C’est le 1er film français grand public à prendre la ZAD comme espace de fiction, il sera aussi l’un des plus gros clichés sur le sujet. Vouloir vivre différemment n’est pas réaliste dans Problemos. Leurs idées (tournées au ridicule dès le départ) seront d’ailleurs balayées par une pandémie. Ils seront les seuls survivants mais les travers de la société capitaliste reprendront vite leurs droits. Quand il s’agit de se doucher ou de trouver à manger, il n’y a plus personne selon Eric Judor.
Comédie 1 – Utopie 0. La ZAD est un prétexte, pas une solution. Et c’est malheureusement souvent le cas dans les films de résistance. Le film Une Zone à défendre, de Romain Cogitore a le mérite d’être déjà plus réaliste.
« – Ça n’a aucun sens de se battre contre ceux qui défendent l’intérêt général ! – C’est pas toi qui voulait défendre la démocratie ? » Une Zone à défendre – Romain Cogitore
Greg, policier infiltré pour aider à démanteler la ZAD, découvre cette communauté de l’intérieur. Il se prendra au jeu et y rencontrera des personnes attachantes au point d’y vivre une relation amoureuse fugace. Le problème c’est que la fille va tomber enceinte et accoucher. Son rapport à la ZAD va alors prendre une autre tournure : une réflexion plutôt axée sur les possibilités à fonder une famille dans ce type de communautés. La sécurité ou la santé de l’enfant comme sa déclaration d’état civil seront au cœur des préoccupations de ce Papa flic responsable. Il y a des « gentils » des deux côtés hein, c’est très nuancé comme film. On comprend pourtant au fil de la narration qu’il y a une opposition : entre un camp des rêveurs combattants et celui des citoyens réalistes qui peuvent, eux, fonder une famille stable.
Les raisons de la lutte, elles, resteront toujours au second plan, accessoires. Et si le film réussit à ne pas trop caricaturer les zadistes, il évite soigneusement de critiquer la police, ou le projet de barrage, dont nous ne saurons quasiment rien. Le film utilise la ZAD comme lieu de l’intrigue mais jamais comme objet scénaristique en tant que tel. Du coup, c’est assez difficile de savoir si ça vaut la peine d’y élever un enfant.
Inventer pour critiquer le réel
C’est l’un des problèmes majeurs de ces films : on n’y aborde que peu le fond, la politique, les raisons de la lutte. Pas plus que dans un Star Wars où l’Empereur est méchant, sans raison apparente. On leur préférera donc les films Avatar qui construisent une véritable fable anticoloniale et écologique.
James Cameron y utilise la Science-fiction et nous projette dans un monde peuplé d’humanoïdes bleutés pour critiquer notre monde à nous : par exemple le traitement des amérindiens et la colonisation de l’Amérique. Mais aussi, une profonde défense de l’écologie et de la place d’une civilisation, humaine ou non, dans son écosystème. Avatar propose un vrai mode de vie alternatif où l’ensemble de la planète ne fait qu’un : les Na’Vis (donc les humains), les animaux, les plantes. Le respect de toutes les espèces est central, le consentement au cœur des relations. Jusqu’à ce que les humains viennent déstabiliser cette utopie extraterrestre pour voler les ressources de la planète.
La science-fiction facilite l’identification à une société opprimée et légitime leur résistance. Là où parler de la guerre d’Algérie ou du traitement des Amérindiens hérisse encore le poil des réactionnaires. Avatar se situe au croisement du film de résistance et de l’utopie futuriste. Même si c’est toujours dans la confrontation de deux modes de vie, peuples ou communautés qu’avance le récit.
A se demander si raconter des utopies réussies est impossible ? Le cinéma a besoin de chaos, de confrontations, de problèmes pour faire avancer les histoires et il supporte mal les mondes idéal. Dans un film de 2h, difficile d’imaginer des communautés alternatives sans conflit. Même dans des communautés isolées comme dans Le village ou Captain Fantastic.
« Nos enfants seront des philosophes rois et cela me procure un bonheur indescriptible ! » – Captain Fantastic, Matt Ross
Dans Le Village, les villageois sont « bloqués » par des monstres qui les encerclent et les empêchent d’explorer hors de leur communauté. Dans Captain Fantastic, l’isolement est choisi par deux parents qui décident d’élever leur famille en forêt. Une éducation physique et morale très érudite pour former des individus éclairés loin des villes et de la civilisation corrompue.
Les deux films interrogent en miroir ces vies autarciques, isolées, ces communautés qui ne sont plus à défendre car elles se sont séparées du monde réel. L’une par la peur, l’autre par le savoir. Un isolement que le cinéma n’acceptera pas toujours pas. Les deux communautés doivent se confronter au monde réel, dominant. Appelez par la liberté et le besoin de découvrir ce qui se fait et se vit ailleurs.
Confronter les normes de nos société
Si le village se limite à questionner l’isolement et le besoin de liberté, Captain Fantastic nous plonge dans cette confrontation des modes de vie pour cerner les bons et mauvais côtés de chaque univers. Les enfants du film ne connaissent rien au monde « réel » qu’ils exploreront seulement pour assister à l’enterrement de leur mère. Ils y découvriront la vraie vie : les sodas, le sexe, les supermarchés ou l’école obligatoire. Toutes les normes qui font notre société. Cette découverte est aussi la nôtre. A travers leur regard, nous pouvons critiquer leur petite communauté isolée mais aussi la grande société dans laquelle nous évoluons tous.
L’utopie, le monde idéal n’existent donc pas au cinéma, et ce n’est pas grave ! Il n’y en aura probablement jamais dans le monde réel non plus. La plupart des communautés des années 70 ont explosé, les ZAD finissent toujours par se normaliser (par succès ou échec) et aucun pays n’a trouvé le mode de vie parfait. Chercher à améliorer le monde est un voyage plus qu’une finalité. Une discussion entre le modèle capitaliste, libéral, dominant et des alternatives à inventer. Comme dans Nomadland , le chef d’œuvre de Chloé Zhao.
« – Ma mère dit que vous êtes sans abri, c’est vrai ? – Non, je ne suis pas sans abri, plutôt… sans maison. Mais tout va bien ne t’inquiète pas. » Nomadland, Chloé Zhao
Elle raconte le voyage de Fern, une femme mûre qui perd son emploi, juste après son mari, et décide de tout plaquer pour vivre sur la route à la recherche de petits boulots. Elle y découvrira une communauté de nomades, fiers de leurs campings car et de l’instabilité de leur quotidien. Un mode de vie fait de solidarité, d’entraide où chacun vit dans l’instant. Sans maison mais pas sans foyer. Oscillant entre des saisons chez Amazon et des fêtes joyeuses au bord de la route 66.
Améliorer notre société est un voyage
Nomadland réussit à la perfection à nous raconter cette tension. Ce voyage fait de luttes contre les systèmes qui oppressent, de disputes avec les modèles dominants, parfois de ruptures. Une vie nomade qui perpétue cette critique en miroir de notre société mais propose aussi, avec finesse, d’en interroger les limites, les piliers à préserver et les grandes révolutions de demain. Un pied dans la société d’aujourd’hui et l’autre dans celle qu’on va devoir inventer.
Ce qui est sûr c’est que le cinéma, non plus, n’a pas trouvé le système idéal et que cette route est encore longue pour réinventer le vivre-ensemble.
Les films nous montrent quand même l’essentiel : l’importance de continuer à lutter et à résister contre des modèles qui ne nous conviennent pas et à rêver à d’autres façons de vivre ensemble.
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Réalisation et montage : Elliot Clarke