Agriculture : la FNSEA fauche les autres syndicats- 20/03/2025
On sort du salon de l’agriculture mais aussi d’une lourde crise agricole. En réponse à la colère des agriculteurs, le gouvernement a voté La loi d’orientation pour la souveraineté agricole. Or cette loi est vivement critiquée par les syndicats opposés à la FNSEA, le syndicat majoritaire dans le monde agricole. Depuis sa création dans les années 40, son travail de lobbying et sa domination sont régulièrement pointés du doigt.
Tous les six ans, plus de 2 millions d’agriculteurs, de viticulteurs, de salariés et autres acteurs ruraux sont appelés à voter pour leurs représentants syndicaux dans les chambres d’agriculture. Les syndicats qui détiennent le plus de sièges influencent et négocient les politiques agricoles. Ils sont ainsi censés défendre les agriculteurs, leurs conditions de travail, leurs revenus ou leur santé. Cette année, la FNSEA a gagné une fois de plus ces élections. Mais d’autres syndicats ont aussi gagné du terrain : la Coordination Rurale avec 30 % et Confédération paysanne avec 21 %. Soit près de la moitié des voix exprimées. Malgré ça, la FNSEA continue de dominer les chambres d’agriculture et donc de défendre, seule, les intérêts du monde agricole.
Prime majoritaire = prime FNSEA
Ce problème est dénoncé par les représentants des autres syndicats. A l’occasion du salon de l’agriculture, nous avons rencontré Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne. Elle nous explique qu’il aura fallu attendre 1981 pour que d’autres syndicats puissent se présenter aux élections de la chambre d’agriculture. Il y a donc, historiquement, une tendance au « syndicat unique ».
« L’ensemble du monde agricole est noyauté, ficelé. (…) La FNSEA s’est attribuée la représentation unique du monde agricole qui semblait être basée sur une unité paysanne. Mais depuis toujours le monde agricole est extrêmement divers. » – Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne
Les chambres agricoles ont trois missions : la formation, le conseil agricole et aider les nouveaux agriculteurs à s’installer. Un rôle majeur pour ce secteur de notre économie et ses travailleurs. Les représentants des chambres d’agriculture sont donc élus, au suffrage universel direct à un seul tour, et pour 6 ans. Le mode d’élection fonctionne selon une prime majoritaire. Quel que que soit le score effectué, la liste arrivée en tête se verra récompensée de la moitié des sièges du collège concerné. Le reste est ensuite divisé équitablement entre chaque syndicat par rapport à ses voix. C’est ce que critique Laurence Marandola qui juge ce mode de scrutin peu démocratique. La preuve en est qu’après les élections de cette année, quatre syndicats ont fait entre 21% et 29% mais ne sont pas représentés équitablement.
« Le système, le mode de scrutin et le mode de gouvernance dans les chambres d’agriculture font que, quoi qu’il arrive, la FNSEA est très largement surreprésentée dans toutes les instances agricoles. (…) C’est quand même le meilleur moyen de dégoûter les gens d’aller voter. » – Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne
Cette « prime » est aussi financière, 25% du financement public des syndicats agricoles dépend des sièges obtenus, selon Basta. Cet argent, les autres syndicats ne le perçoivent pas, et doivent trouver d’autres financements, ce qui installe encore plus la suprématie de la FNSEA. Ce système de prime n’existe que pour les représentants des chambres d’agriculture. On appelle ça une proportionnelle « partielle », limitée, et c’est tout le problème selon Laurence Marandola. Les syndicats minoritaires, n’étant pas suffisamment représentés, la FNSEA continue à imposer ses idées. La Confédération paysanne dit pourtant accompagner un tiers des agriculteurs sur le territoire français. Avec très peu de moyens.
L’urgence écologique n’est pas représentée
En France, le nombre d’agriculteurs ne cesse de chuter : aujourd’hui, il y a quatre fois moins d’agriculteurs exploitants qu’il y a 40 ans selon les chiffres de l’INSEE. Ces chiffres alertent les syndicats mais aussi les autorités publics. L’un des objectifs de la loi d’orientation agricole, adoptée le 21 février 2025, est d’accélérer l’arrivée des nouvelles générations d’agriculteurs. Pourtant, cette loi est loin de faire l’unanimité. Laurence Marendola dénonce une irresponsabilité politique du gouvernement, compte tenu de la situation d’urgence du monde agricole. Selon elle, les mesures sont des mesures de très courts termes, assez vides sans aucune mesure forte pour la transition agroécologique.
« On pourrait accompagner l’ensemble des agriculteurs tout à fait différemment et c’est hyper urgent. On est quand même au bout d’un cycle, un peu au bord du mur. » Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne
Malgré tout, Laurence Marandola reste optimiste. Venir au Salon de l’Agriculture permet de parler de ces problématiques avec les représentants du gouvernement et d’entrer en contact avec des jeunes qui sont intéressés par le monde agricole et pourraient devenir de futurs agriculteurs. L’une des solutions pour un système plus démocratique est de continuer sur la voie du syndicalisme, comme nous l’expliquait d’ailleurs une historienne des mouvements sociaux, Mathilde Larrère, dans une précédente vidéo.
« En agriculture, comme ailleurs, le syndicalisme est important pour porter la voix, pour défendre la transformations sociale en agriculture. L’existence d’autres syndicats, même si on peut être adversaires, nous semble aussi être un gage de démocratie. (…) Si les règles du jeux étaient justes, entre syndicats, ça irait beaucoup mieux. » Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne
Et surtout, ce que propose Laurence Marandola pour un système agricole plus juste c’est la mise en place d’une proportionnelle totale pour les élections professionnelles agricoles. Une règle qui imposerait la présence de tous les syndicats, et donc de leurs idées, dans toutes les instances agricoles. Meilleur terreau aux changements souhaités par la Confédération paysanne.
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Réalisation et montage : Louna Boulay / Article : Flavie Roussel