De l’argot au dico, le langage en dit long sur le vivre-ensemble – 02/06/2025
C’est quoi un « gâté » ? Ce mot vient de l’Occitanie (si si je vous jure) et désigne un être cher, qu’on aime particulièrement. Ces dernières années, il a été popularisé par le rappeur marseillais SCH. C’est l’un des 150 mots qui fera son entrée dans le Petit Robert en 2026. Et il n’est pas le seul à faire parler de lui. Langues locales, accents, argot, le langage unit ou divise. Autant d’occasions de montrer comment l’évolution de notre langue reflète notre société, et la place des citoyens.
Le langage crée une sorte d’unité nationale, du moins en France. On apprend tous et toute la langue française à l’école. Mais pourquoi est-ce si important ? Ça permet une compréhension mutuelle, de l’échange, et la construction d’une culture commune entre les individus. C’est un vecteur de lien social fort au point que le mot “français” désigne notre langue et notre pays. À l’inverse, dans les pays colonisés, la langue du colon (français, anglais, espagnol) a longtemps, et remplace encore parfois celle des populations locales. Si la langue peut unifier, elle peut donc, aussi, devenir un outil de domination.
Local VS national
C’est aussi un facteur de différenciation. En France on recense à peu près 80 langues régionales, minoritaires. Le basque, corse, picard, ou encore le lorrain. D’après une enquête Statista révélé en 2025 les Hauts de France seraient la région où les habitants parlent le plus leur langue “locale”, avec 38% de locuteurs.
Pour l’argot des quartiers populaires, c’est une autre histoire. Une enquête Preply a révélé que 31% des sondés pensent que l’argot détruit la langue française. Mais en réalité cet argot des banlieues regroupe plusieurs langues issues de cultures différentes. C’est là que les identités locales souvent jugées comme communautaires vont s’opposer à l’identité nationale française.
En fait, il n’y a pas juste un mépris de classe mais aussi un mépris géographique. Si tu habites en dehors de Paris, “là où on parle le vrai français”, t’es un peu condamné.
Gommer son accent, effacer son identité
Les accents prennent des coups aussi. Même si le vocabulaire marseillais a fait fureur cette année dans le dictionnaire, l’accent, lui, est touché par ce qu’on appelle la glottophobie. Un néologisme développé en 1998 par Philippe Blanchet, un sociolinguise français. En gros c’est un concept qui repose sur une idéologie du langage qui n’accepte qu’une forme correcte. Les autres façons de parler sont jugées inférieures et peuvent être source de honte pour les concernés. Et, historiquement, c’est souvent une hiérarchie entre Paris et le reste de la France. Beaucoup gomment leurs accents quand ils “montent” sur la capitale.
Face à ces stigmatisations, au mépris de classe ou géographique, la langue doit aussi servir à éduquer, à développer l’esprit critique voire, parfois, à lutter. Ca se traduit par l’apparition de nouveaux mots, des néologismes. Des mots comme « Macronie », « islamo-gauchisme » ou « féminicide » répondent à un besoin de nommer de nouvelles réalités ou idées à défendre.
Après la pandémie du COVID, le vocabulaire médical a totalement évolué. Avant, personne n’avait entendu parler de confinement.
1984, 2025, même combat ?
Dans le champ des luttes, le mot « woke » est hyper intéressant. Au départ, il est utilisé par les afro-américains pour dire « être éveillé ». En gros être conscient des injustices sociales et des discriminations raciales. Mais depuis quelques années, son usage a complètement changé et aujourd’hui c’est un mot « péjoratif ». Il a été récupéré, détourné, et diabolisé. Surtout dans le débat public.
C’est le cas typique pour montrer que la langue peut servir à lutter ou limiter la pensée. Des usages qui vont parfois jusqu’à la censure. Si on regarde bien dans l’histoire il y a plein d’exemples de mots qui ont été censurés ou promus à des fins idéologiques. En URSS par exemple, le mot capitalisme était interdit.
Plus un pays est autoritaire, plus il va essayer de contrôler la langue de ses citoyens, et plus violemment. C’est le scénario dans le livre 1984 de George Orwell (illustration). Il y développe le concept de Novlangue. La volonté de réduire le vocabulaire pour limiter la pensée critique. Dans ce régime totalitaire, les mots associés à la liberté et à la démocratie sont bannis.
Dans l’épisode 3 de notre série Filmocratie, nous racontions les risques du totalitarisme à travers le cinéma, historique ou de fiction.
Et si on vous parle de ça, c’est que de la fiction à la réalité, il n’y a qu’un pas. La preuve, si on regarde chez nos voisins avec Trump qui coupe les financements aux universités à Harvard. Ou juste le fait qu’il bannit les mots femmes et climat des rapports scientifiques. Comme on vous en parlait dans une vidéo sur la liberté d’expression.
Le langage c’est donc une arme pour faire communauté, s’éduquer voire résister. Il est super important et il faut le protéger. Ce n’est pas un monument figé : il reflète nos identités variées, change et évolue à travers les luttes et les générations. C’est pour ça qu’il ne faut jamais sous-estimer le poids des mots.
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Réalisation et montage : Judith Faye / L’équipe MOB