Listes citoyennes : les mairies sont à vous

Et si on reprenait les mairies aux partis politiques ? En 2020, lors des dernières élections municipales, presque 600 listes citoyennes et/ou participatives ont essayé. 66 ont réussi à transformer l’essai. Ces élu·es pas comme les autres tentent, depuis, de « faire mairie » autrement. Horizontalité, féminisme et participation citoyenne y font recette.

Ils sont des centaines à s’être installé·es sur les pelouses des Salons de Blossac de Poitiers, baignés par le soleil d’août. Et c’est de lumières dont ils et elles ont besoin pour lancer leurs listes citoyennes et participatives en 2026 et ainsi « choper » leur mairie. 

C’est la coopérative Fréquence Commune via son réseau Actions Communes qui les invite à se réunir annuellement. Inspirés du municipalisme de Bookchin, ce collectif de militant·es, chercheur·ses partagent un constat et un combat avec les participant·es aux Rencontres nationales des listes et communes participatives : la politique locale ne devrait pas être qu’une affaire de partis.  

Une reprise en main citoyenne et participative de nos villes et de nos villages leur semble possible. 66 expérimentations ont en tout cas « fait mandat » entre 2020 et 2026, de Vaour, petit village de 328 habitant·es dans le Tarn (81), à Poitiers, préfecture de la Vienne (86). Fréquence commune a justement analysé, dans un rapport publié en 2025, la composition, le fonctionnement et le travail de ces ovnis politiques. Un bilan de fin de mandat pour en comprendre l’intérêt et les limites. 

Les autrices, Elisabeth Dau, Léa Legras et Cléa Fache font un premier constat. Ces listes veulent « dénoncer l’élitisme du personnel politique et son hyper-professionnalisation ». En gros, faire différemment des partis politiques et des maires charismatiques (souvent des hommes) qui surplombent les élections et incarnent à eux-seuls, tout le mandat.

Citoyens vs. Partis

La première étape de ces aventures militantes : monter sa liste. Pas simple, quand on n’a pas derrière soi toute la machinerie bien huilée des partis politiques. Pour y arriver et surtout pour faire différemment, beaucoup tentent donc les élections sans candidat·es. C’est ce que vient de faire la liste « citoyenne et solidaire » de Meyrargues (4000 habitant·es), dans les Bouches-du-Rhône (13), pour choisir son équipe pour 2026. Le but ? Éviter les « grosses têtes » en choisissant le ou la maire et les adjoint·es au sein de la liste sans qu’ils ne s’autodésignent. Certaines communes ont même organisé toutes leurs équipes et la répartition des postes en cas de victoire. Un fonctionnement plus démocratique et horizontal, souvent maintenu une fois les listes élues. 

Reste à passer l’épreuve des campagnes électorales. Qui dit campagne politique dit traditionnellement adversaires, stratégies et jeux d’alliance. Il a souvent été difficile pour ces listes, nouveaux arrivants en politique, de ne pas se faire « bouffer » pendant le scrutin. Dur de faire alliance ou de se confronter à des partis traditionnels qui ont souvent une expertise et de l’organisation mais aussi beaucoup d’exigences. Typiquement, à Toulouse, Archipel Citoyen a subi ce jeu politicien lors de l’union de la Gauche face au maire Jean-Luc Moudenc (La France Audacieuse, Droite) en 2020. La liste Nantes en commun·e·s avait, quant à elle, difficilement navigué entre les Verts et les Insoumis. Un combat partagé par de nombreuses listes citoyennes ou participatives cette année-là racontait Basta! et un point d’alerte pour celles qui tenteraient l’aventure en 2026.  A Toulouse, les négociations sont d’ailleurs à la peine entre les Gauche locales.

Horizontaliser, c’est féministe

Une fois élues, par contre, ces listes citoyennes essaient vraiment de faire les choses différemment. À commencer par l’organisation interne et les prises de décision des élu·es. Une de leurs priorités a souvent été de dépersonnifier le pouvoir, et donc d’horizontaliser leur fonctionnement. Leur inspiration : la sociocratie, théorisée par Auguste Comte. L’idée est que tout le monde prenne part équitablement aux processus de décision interne, que le pouvoir comme la parole soient bien répartis dans une équipe de réflexion. Cette méthodologie inclusive est permise grâce à des outils d’intelligence collective : un combat contre les hiérarchies souvent chargé de féminisme. Fréquence Commune parle même d’une lutte pour « féministiser la politique locale ». En redonnant la parole à tout le monde, on réduit les inégalités de genre mais on répartit aussi mieux les rôles dans les mairies, au-delà des exigences formelles de parité.

Plusieurs méthodes ont été testées. De la création de binômes responsables dans chaque domaine de travail à la prise de décision à zéro objection. Une prise de décision exigeante pratiquée à Prades-le-Lez, commune de 6 000 habitant·es, dans l’Hérault (34) par exemple. Une gestion collective des mairies qui a beaucoup misé sur la participation citoyenne, l’inclusion des habitant·es non-élu·es dans les réflexions municipales.

Des observatoires habitants, contre-pouvoirs citoyens à l’équipe municipale, ont été tentés à Vaour. À Saint-Médard-en-Jalles, 32 000 habitant·es, en Gironde (33), des groupes études projets (GEP) avec les citoyen·nes ont planché ensemble sur l’ajout d’un bâtiment à l’école. La ville de Poitiers a, quant à elle, beaucoup fait parler avec son Assemblée citoyenne et populaire. On y a même consacré une série de reportages. Une co-construction entre élu·es et habitant·es qui n’a pas toujours été facile à organiser, mais surtout pour mobiliser. Les expériences originales de tirage au sort et le porte-à-porte intensif n’ont pas toujours suffi à attirer les habitant·es et à les inciter à participer à ces décisions collectives. Fréquence Commune en tire une leçon globale de démocratie participative : il n’est pas si facile de chambouler les habitudes et les pratiques chez les citoyen·nes ni même l’intérieur des administrations.

C’est une autre conclusion du rapport : il faut faire avec les agent·es des municipalités. Car, s’ils ne sont pas élu·es, ils travaillent au quotidien dans les mairies. Elles et eux font tourner la machine et assurent la liaison entre les mandats. Peu formé·es ou sensibles à ces questions de participation, ils ont dû revoir tout leur fonctionnement au sein de ces expérimentations municipalistes. C’est une des raisons pour lesquelles l’expérience de Poitiers a inclus les agent·es de la ville dans le panel de l’Assemblée, et donc aux décisions.

Politique du « soin », non sans peine

Cette horizontalité, couplée à des dispositifs de participation citoyenne ont permis à ces élu·es, « pas comme les autres », de changer les habitudes de gestion et de s’essayer à d’autres pratiques de gouvernance. Une politique du « soin » qui ne s’applique pas sans peine. 

Selon Fréquence Commune, il faut en moyenne deux ans aux nouvelles et nouveaux élu·es pour s’approprier le fonctionnement d’une mairie. Il a souvent été difficile de gérer toutes ces transformations et expérimentations tout en assurant le suivi des dossiers en cours. Les ambitions dans ces communes ont donc parfois été revues à la baisse – mais jamais abandonnées.

Le cas de La Crèche, 6 000 habitant·es, dans les Deux-Sèvres (79), illustre à merveille cette tension. À son arrivée en mairie, la liste citoyenne a été convoquée par la préfecture pour mise sous tutelle budgétaire de la commune. Une gestion de crise qu’elle a décidé de porter avec les habitant·es en mettant en place un comité consultatif avec les volontaires pour « sauver » la commune. 35 personnes se sont réunies sur quatre week-ends et ont trouvé des solutions concrètes pour réduire l’endettement de leur commune.

C’est la force des cette poignée de listes élues en 2020. Elles ont persisté et pris à cœur leur tentative de faire de la politique autrement. Et ce malgré les nombreux obstacles à la découverte de la gestion politique. L’horizontalité des équipes, élu·es comme agent·es, et la participation citoyenne leur ont servi de gouvernail sur ces fragiles navires municipaux. Modestes, humbles mais très engagés, conclut Fréquence Commune – qui tente de fédérer et d’orienter celles et ceux qui voudraient se lancer dans son réseau « Actions communes ».

Quelques 350 listes sont déjà candidates pour 2026, près du double de 2020. De nouvelles tentatives qui prendront ainsi exemple sur celles de Vaour, Plessé, Castanet-Tolosan, La Crèche, La Montagne ou Poitiers. Avec comme mot d’ordre que les « mairies sont à nous », si on arrive à les gagner.

Réalisation et montage : Elliot Clarke

Une série de vidéos en partenariat avec Mediacités, soutenue par le Fonds pour une presse libre