C’est quoi la bataille culturelle ?

Si Donald Trump est de nouveau président des États-Unis, c’est en partie grâce à une bataille culturelle menée sur les réseaux sociaux, avec l’aide de son acolyte Elon Musk, PDG de X-Twitter. On a même eu le droit à une cérémonie d’investiture sidérante le 20 janvier dernier. Pendant ce moment télévisé, diffusé mondialement, on a pu voir Trump danser sur YMCA, mais surtout Musk faire non pas un, mais deux saluts nazis, et une partie de la classe politico-médiatique s’en accommoder. Est-ce que c’est ça gagner ce qu’on appelle la « bataille culturelle » ?

Tout d’abord, un petit cours d’Histoire s’impose. On parle d’abord d’hégémonie culturelle, un concept forgé au début du 20ème siècle, comme l’explique Le Monde, par l’italien Antonio Gramsci, un journaliste et philosophe communiste. Il s’agit là de dire que le pouvoir se gagne avant tout par les idées. Le terme de bataille, ou guerre culturelle arrive dans les années 90, avec le sociologue américain James Davison Hunter dans son livre Culture Wars. Ce concept décrit « un débat public polarisé autour de questions morales et une stratégie de conquête d’une hégémonie culturelle ».

Gagner la bataille culturelle, voire même la guerre, c’est donc s’assurer de conquérir le pouvoir. Et nous sommes aujourd’hui encore en plein dedans. C’est la stratégie qu’a développé Elon Musk en rachetant le réseau social Twitter, qu’il a ensuite renommé X. Il a alors réhabilité le compte, alors supprimé, de Donald Trump, baissé drastiquement la modération du réseau social et mis en avant ses propres contenus comme ceux du futur président.

Les soldats de l’extrême droite

À l’image des États-Unis, la bataille culturelle se passe en majorité sur Internet, et l’extrême droite a été avide d’investir ce lieu, notamment parce qu’il permet de s’adresser directement aux citoyens, sans l’intermédiaire d’un journaliste. Et ça marche. C’est d’ailleurs ce que racontent les journalistes Pierre Plottu et Maxime Macé dans leur livre Pop fascisme. Ils prennent notamment l’exemple des influenceurs identitaires come Thaïs d’Escufon, Papacito ou Le Raptor. Ces derniers font passer des idées réactionnaires de manière plus ou moins détournée. Ils sont coachs en séduction, en sport, font des vidéos humoristiques… tout ça sur dans un format Youtube ou Tiktok, bien connu et apprécié des jeunes générations.

Mais tout ça se passe aussi dans les médias. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’une poignée de milliardaires les rachètent à tour de bras ces dernières années. La carte des médias français du Monde Diplomatique le détaille à merveille. Si on prend, au hasard, l’exemple de Vincent Bolloré, on voit que les médias dont il est propriétaire imposent peu à peu leurs idées, mais surtout, leurs débats dans l’opinion publique. TPMP et CNews en généraux de cette bataille idéologique.

Parce que, ce combat passe avant tout par le vocabulaire. Et pour le coup, c’est valable autant pour des idées réactionnaires que progressistes : wokisme, islamo-gauchiste, grand remplacement, insécurité, « lobby trans » comme féminicide ou décroissance. On a, bizarrement, plus d’exemples pour les idées d’extrême droite. Si le langage est aussi important, c’est parce que c’est à travers lui que passe notre description du réel, de la société. Il définit un sens commun et un cadre de réflexion sociétale. Par exemple, parler de « féminicide » plutôt que de « crime passionnel », c’est mettre en avant des actes systémiques de domination masculine plutôt que de décrire un homme jaloux. C’est quand même mieux que de dire qu’il aimait trop sa femme pour vivre sans elle, quitte à « déraper » et à la tuer.

La classe politico-médiatique ce n’est pas la France

Et donc, à partir de ces éléments, cette domination médiatique, il semblerait que la droite (ou l’extrême droite), soit en train de gagner cette bataille culturelle. Même si, face à ce phénomène, le sociologue Vincent Tiberj préfère nuancer. Sa thèse étoffée défend que, même si une partie des classes politique et médiatique s’est droitisée, ce n’est pas le cas des citoyens français. Il parle plutôt d’un « conservatisme d’atmosphère ».

Ce qu’il nous dit, au micro de Radio France, c’est que « la France ne se droitise pas par en bas, mais par en haut ». D’après lui, la population française a progressé vers plus d’ouverture sur certains sujets au cours des dernières décennies. Il relève une plus grande tolérance envers les personnes LGBTQIA+, la place des femmes, l’immigration et les questions d’identité. La différence entre l’atmosphère politico-médiatique et les opinions populaires serait dû à un système démocratique défaillant en France, à un déséquilibre entre les opinions populaires et leurs porte-voix : les médias et les politiciens.

Alors que, l’important en démocratie, c’est justement que personne ne gagne cette guerre culturelle. Il faut que chaque camp, chaque idée puisse être entendue. C’est comme ça que chaque citoyen se fait une opinion. Et ça fonctionne pour la Droite comme la Gauche. Après quand on dit « tout entendre », évidemment ça a ses limites : les idées discriminantes et réactionnaires doivent continuer d’être dénoncées et condamnées. Genre les saluts nazis d’Elon Musk.

Réalisation et montage : Perrine Bontemps