Kanaky : l’urgence de l’indépendance – 16/10/25
Avant de nommer son gouvernement, l’actuel Premier Ministre Sébastien Lecornu a déclaré avoir deux priorités : le budget 2026 et la Nouvelle-Calédonie. Une insistance rare sur cette collectivité d’Outre-mer (COM) qui s’explique pourtant. Les Calédoniens sont en plein processus d’indépendance vis-à-vis de l’État français. Et l’urgence électorale locale de novembre incite le gouvernement a accéléré la signature de l’accord de Bougival de cet été. Au risque de déplaire aux indépendantistes kanaks, originaires de l’Archipel. Brenda Wanabo-Ipeze, porte-parole du FLNKS y voit une tentative de maintenir la « Kanaky » dans la France.
À 18 000km de l’Hexagone, cette collectivité d’outre-mer (COM) fait beaucoup parler d’elle. Et pour cause, elle est considérée par l’ONU comme un « Territoire non-autonome », un état non souverain. En d’autres termes, une colonie française. Un processus de décolonisation est lancé en 1988, confirmé dans l’accord de Nouméa de 1998. Tout se passait plutôt bien jusqu’à l’arrivée du Président Emmanuel Macron au pouvoir et plus récemment l’accord de Bougival. Des modalités d’indépendance qui dérangent les indépendantistes kanaks.
« La Kanaky c’est 162 ans de colonisation française. Il y a eu différentes révoltes dans l’histoire du peuple Kanak avec les soulèvements des grands chefs coutumiers durant les différentes phases de colonisation de notre pays. En 1998 a été signé l’accord de Nouméa. C’est l’accord qu’on appelle l’accord de décolonisation. Celui de Bougival va à l’encontre de ce qui avait été négocié. » Brenda Wanabo-Ipeze, porte-parole du FLNKS
Depuis 2021, le Président et ses ministres s’attaquent à ce problème complexe avec maladresse… peut-être à dessein. Celui de maintenir une forme d’emprise française sur ce territoire. Ce qui ne plaît pas aux indépendantistes kanaks du FLNKS. Le Front de libération national kanak et socialiste est composé de partis, groupes politiques et syndicats. Ils combattent pour l’indépendance de l’archipel, mais surtout pour la reconnaissance d’une identité kanak, le peuple originaire du territoire avant la colonisation française. Ils ne défendent d’ailleurs pas la reconnaissance de la Nouvelle-Calédonie, mais bien de la Kanaky, et tentent de préserver leur identité alors même qu’ils ne représentent plus que 41% de la population habitante des îles.
Minoritaires mais pas vaincus
C’est un des enjeux majeurs du territoire, et la cause de la complexité de ce dossier : les indépendantistes, peuples originaires, sont minoritaires chez eux. Mais grâce au « gel du corps électoral » résultant des accords de 1998, qui limite l’accès aux élections locales, ils arrivent à faire entendre leur voix et revendications. Un gel qui peut sembler étrange en « métropole » vu qu’il implique l’exclusion d’habitants, français, dans les élections locales. Il est pourtant tout à fait légitime réaffirme récemment le Conseil constitutionnel, compte tenu du passé colonial sur ce territoire.
C’est ce sujet législatif technique bien précis qui met le feu au poudre en mai 2024. Une loi de « dégel du corps électoral » est votée à l’Assemblée, loi qu’on avait décortiqué à l’époque dans une infographie. Le peuple se soulève pour contester le dégel, et donc l’ouverture du droit de vote aux non-natifs. Une proposition de loi qui a entraîné des révoltes et la mort de 14 personnes. En majorité des « crimes policiers », dont on parlait récemment avec des familles endeuillées et collectifs de soutien, ici dans l’Hexagone.
« Il faut rappeler que tout cela s’est passé à la suite de différentes mobilisations pacifiques qu’avait lancé la cellule de coordination des actions de terrains (CCAT). Plus d’une vingtaine dans l’ensemble du pays, pour dire non à un projet de loi constitutionnel que voulait nous imposer le gouvernement Macron. » Brenda Wanabo-Ipeze, porte-parole du FLNKS
C’est à nouveau ce sujet qui inquiète le FLNKS depuis cet été : Manuel Valls a signé l’accord de Bougival pour « l’indépendance de la Nouvelle Calédonie », un accord fidèle au « pari sur l’intelligence » des accords de Nouméa décrypte Le Monde. Un accord qui va à l’encontre de l’Histoire selon Brenda Wanabo-Ipeze, porte-parole du FLNKS. Emprisonnée puis libérée sous contrôle judiciaire dans l’Hexagone, où elle continue son combat pour la Kanaky libre et souveraine lit-on dans Basta!.
Protéger les intérêts français
Ce sujet, bien que complexe, montre bien à quel point les lois et le vote impactent la vie démocratique. Et surtout à quel point la France a du mal à lâcher sa colonie, c’est ce qu’on comprend du calendrier décrypté par Mediapart. En dégelant le corps électoral, et surtout en voulant le faire avant les élections locales prévues en Novembre en Nouvelle-Calédonie, le gouvernement français voulait s’assurer que la composition du Congrès calédonien (54 membres) lui soit favorable. Pour cela deux leviers : D’abord, permettre à plus de ressortissants « étrangers », Calédoniens d’origine européenne, de voter aux élections. Ainsi, il récupère plus de voix des loyalistes, des personnes et partis qui auraient tout intérêt à maintenir la Kanaky/Nouvelle-Calédonie en France.
Ensuite, l’accord prévoit de renforcer l’autonomie des provinces. La province Sud, loyaliste et majoritaire au Congrès, pourra donc continuer à collaborer et à voter dans le sens d’un attachement de la collectivité d’outre-mer à l’Etat français. Pour quoi faire ? Un enjeu géopolitique (avoir des enclaves dans le Pacifique) mais aussi économique : la Nouvelle-Calédonie concentre au moins 20% des réserves mondiales de nickel rappelle Le Monde.
Kanaky VS. Nouvelle-Calédonie
Pour résumer, le futur statut de la Nouvelle-Calédonie dépend de ces choix législatifs, techniques mais structurant, pour cet État en devenir. État « fédéral », « associé », autre ? La fondation Jean Jaurès note que l’accord de Bougival signé à l’été est unique et donc fragile. Et il ne reprend aucune mention de la Kanaky, appelation chère aux indépendantistes.
« Nous sommes minoritaire chez nous. […] On est un petit peuple, mais on aspire depuis des années à pouvoir être parmi le concert des Nations et parmi les peuples libres du monde. […] Pour nous l’accord de Bougival c’est fixer la Nouvelle-Calédonie dans la France. Mais on ne peut pas être indépendant dans un autre pays. » Brenda Wanabo-Ipeze, porte-parole du FLNKS
Brenda Wanabo-Ipeze espère que l’Etat français, grâce aux citoyens français mobilisés et à leurs élus, agiront dans le bon sens de l’Histoire : celui d’une souveraineté totale mais surtout respectueuse des kanaks colonisés en 1853, qui risquent d’être invisibilisés dans le processus d’indépendance. Reste à voir si ce nouveau gouvernement et la ministre en charge du dossier, Naïma Moutchou, sauront trouver la voie et écouter les leurs.
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Réalisation et montage : Elliot Clarke
