MANIFESTER : UN DROIT EN DANGER – 06/03/24
Le droit de manifester, pilier essentiel de toute démocratie, semble aujourd’hui plus menacé que jamais. D’après les analyses d’Amnesty International France (AIF) et de nombreux défenseurs des droits humains, une série de restrictions et de pratiques sape peu à peu cette liberté fondamentale. Cette situation inquiète Quitterie Berchon, chargée de campagne chez AIF, car de grandes avancées sociales et politiques, telles que le droit à l’avortement ou l’abolition de la peine de mort, ont été conquises grâce à ces mobilisations de masse. Et d’autres sont à venir.
Historiquement, les Français ont souvent investi la rue pour faire entendre leur voix. Du mouvement des gilets jaunes aux manifestations contre la réforme des retraites, en passant par les révoltes du monde agricole, ces mobilisations incarnent une tradition politique vibrante. « Le droit de manifester est central dans l’histoire politique française et reste un moyen d’expression vital pour défendre nos droits », rappelle Quitterie Berchon.
Cependant, cette liberté est confrontée à deux principales menaces : l’usage excessif de la force et l’instrumentalisation des lois.
L’usage de la force : une violence disproportionnée
Depuis plusieurs années, les manifestations en France sont marquées par un recours croissant à des dispositifs policiers lourds et à des armes dites à létalité réduite. Ces armes, telles que les grenades lacrymogènes ou les lanceurs de balles de défense (LBD), sont présentées comme des alternatives non mortelles. Pourtant, leurs conséquences sont souvent graves : éborgnements, blessures irréversibles et, parfois, perte de vie. Quitterie Berchon rapporte que « des milliers de manifestants ont été blessés par cet usage disproportionné de la force ».
Les stratégies policières, comme les encerclements massifs ou l’emploi précoce de ces armes, instaurent un climat de peur. Cela dissuade de nombreuses personnes de participer aux manifestations, fragilisant ainsi cet outil démocratique.
L’instrumentalisation des lois : une menace silencieuse
La criminalisation des manifestants passe aussi par des lois qui élargissent les motifs d’interpellation. Parmi celles-ci, trois délits sont régulièrement invoqués :
- L’interdiction de dissimuler son visage : introduite par la loi « anti-casseurs » de 2019, cette mesure permet d’arrêter quiconque porte des équipements de protection, même rudimentaires comme des lunettes ou un masque.
- Le groupement en vue de commettre des violences : cette disposition vague permet l’interpellation préventive, souvent basée sur des présomptions floues.
- L’outrage à agent : des pancartes ou slogans, comme « Oui au muguet, non au LBD », sont parfois interprétés comme insultants et donnent lieu à des poursuites.
Ces lois, bien qu’en apparence légitimes, servent à neutraliser les mobilisations pacifiques. En effet, « ces restrictions ont un effet dissuasif : participer à une manifestation peut conduire à 48 heures de garde à vue ou à des sanctions judiciaires lourdes », précise Quitterie Berchon.
L’impact médiatique et la peur collective
La violence physique n’est pas la seule arme pour décourager les manifestations. Le traitement médiatique, souvent axé sur les débordements et les actes violents, alimente la peur. Ce cadrage renforce l’acceptation des violences policières par une partie de l’opinion publique et stigmatise les manifestants.
Face à cette situation alarmante, Amnesty International propose plusieurs pistes d’amélioration :
- Désescalader les tensions : encourager des stratégies de dialogue entre forces de l’ordre et manifestants.
- Garantir l’accès à la justice : créer un organisme indépendant pour enquêter sur les violences policières.
- Modifier les lois liberticides : revoir les textes qui vont à l’encontre du droit international, comme les dispositions de la loi anti-casseurs.
- Protéger les libertés en amont : limiter l’usage de technologies intrusives, comme l’intelligence artificielle et la surveillance massive, particulièrement en vue des Jeux Olympiques de 2024.
Un appel à la mobilisation
Le droit de manifester n’est pas un privilège, mais un droit fondamental que chaque citoyen doit pouvoir exercer sans crainte. Les organisations de défense des droits humains appellent les autorités françaises à garantir ce droit dans un cadre sécurisé et respectueux des libertés publiques.
Alors que la France s’apprête à accueillir des événements mondiaux de grande envergure, il est urgent de rappeler que la démocratie ne peut s’épanouir sans un espace public ouvert et libre d’expression collective. « On continue à se mobiliser auprès des autorités françaises avec Amnesty pour défendre le droit de manifester , et on restera vigilants lors de prochaines mobilisations », conclut Quitterie Berchon.
Rendez-vous dans les rues.
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Réalisation et montage : Héloïse Bauchet