Anticor : la lutte anti-corruption en danger

Pour beaucoup de gens, « les politiques sont tous pourris ». Ce cynisme, bien qu’injuste pour la majorité des élus, trouve sa source dans des scandales répétés et l’impression d’une impunité récurrente. La France, classée 20e mondiale en matière de corruption, est loin d’être le pire élève, mais les conséquences financières sont lourdes. Ces abus de pouvoir nous coûteraient 120 milliards d’euros par an, soit jusqu’à 600 euros par citoyen.

Inès Bernard, déléguée générale de l’association Anticor, nous a récemment partagé son expérience et ses inquiétudes sur la situation actuelle de la lutte anti-corruption dans le pays.

Fondée en 2002, Anticor est l’une des trois organisations non gouvernementales en France qui possèdent l’agrément permettant de saisir directement un juge d’instruction. Cet outil juridique est essentiel pour éviter les blocages potentiels du parquet, qui demeure subordonné au pouvoir exécutif. « Nous avons besoin de ce sésame pour agir efficacement et contourner les collusions possibles dans certaines affaires sensibles », insiste Inès Bernard.

L’association a joué un rôle clé dans plusieurs dossiers emblématiques, comme l’affaire Benalla ou encore des poursuites contre Alexis Kohler, secrétaire général de l’Elysée, accusé de conflits d’intérêts liés à des sociétés familiales. Mais leur pouvoir d’action reste sous contrôle gouvernemental, ce qui pose de sérieux problèmes.

Une dépendance nuisible

L’agrément, outil indispensable pour Anticor, est attribué par le ministre de la Justice. Cette dépendance rend les ONG vulnérables à la volonté politique du moment. « Pendant plus d’un an, notre agrément n’a pas été renouvelé. Nous avons perdu un temps précieux et une partie de notre pouvoir d’action », regrette Inès Bernard. Cette situation a paralysé de nombreuses procédures judiciaires en cours, privant Anticor de la possibilité de saisir des juges d’instruction indépendants.

Face à ce blocage, l’association a dû engager un recours judiciaire. En septembre dernier, le tribunal administratif a condamné le gouvernement à payer une amende de 1 000 euros par jour tant qu’il ne répondrait pas à leur demande. Le lendemain, en pleine interview avec nous, l’agrément était enfin renouvelé. « C’est une victoire, mais elle ne résout pas le problème de fond : la dépendance de la lutte contre la corruption vis-à-vis du gouvernement en place », précise-t-elle.

Un système à réformer, un enjeu citoyen

Pour garantir une lutte efficace et indépendante contre la corruption, Inès Bernard plaide pour une réforme structurelle. Elle propose que l’attribution de l’agrément soit confiée à une autorité administrative indépendante et non plus au ministre de la Justice. De plus, la durée de validité de cet agrément devrait passer de trois à cinq ans. « Demander un renouvellement tous les trois ans est une aberration au regard des délais de la justice », explique-t-elle.

Au-delà de ses actions juridiques, Anticor souhaite mobiliser les citoyens. « Nous encourageons chacun à écrire à son député pour demander une modification de la loi. Ce problème d’agrément n’est pas seulement celui d’Anticor, c’est celui de tous les citoyens attachés à la transparence et à la justice », insiste Inès Bernard.

L’association met également l’accent sur la sensibilisation et la prévention. « La corruption favorise l’abstention et le désintérêt des citoyens pour la démocratie. C’est un cercle vicieux qu’il faut absolument briser », ajoute-t-elle.

Un combat à poursuivre

Malgré les difficultés, Anticor continue de se battre avec détermination. Avec plus de 150 procédures judiciaires en cours, l’association reste un rempart essentiel contre les abus de pouvoir. Inès Bernard conclut avec un appel à l’engagement collectif : « Soutenez-nous, relayez nos combats et participez activement à cette cause. La lutte contre la corruption est l’affaire de tous. »

En se faisant porte-voix des citoyens dans ce combat, Anticor montre que la démocratie peut encore triompher face aux détournements et aux abus de pouvoir.

Réalisation et montage : Elliot Clarke