Complotisme : une méfiance qui nuit à la démocratie – 02/01/25
Vous avez passé Noël en famille, et votre tonton Gégé s’est réjoui de la réélection de Donald Trump. « ENFIN, a-t-il dit, cette fois-ci ils n’ont pas réussi à truquer les élections ! » Forcément, le ton est vite monté, et l’ambiance est devenue un peu lourde… On comprend votre agacement, mais est-ce qu’on comprend celui du tonton ?
S’il parle de fraude électorale, c’est parce que cette fausse information a été diffusée massivement en 2020, après la victoire de Joe Biden contre Donald Trump. France Culture était d’ailleurs revenu sur ces allégations dans une émission. Des semaines de dénonciations qui ont mené à l’assaut du Capitole. Cet événement, qui a fait 5 morts, est notamment le fruit de théories du complot diffusées par Donald Trump lui-même, une fâcheuse habitude qu’il a prise ces dernières années.
Et ce n’est pas le seul ! Le complotisme a inondé les réseaux sociaux et une partie de la sphère politico-médiatique, avec une nouvelle intensité depuis la crise du Covid. Même si celui-ci n’a pas attendu Internet pour exister, sa diffusion est aujourd’hui beaucoup plus rapide.
Les faits à l’épreuve de l’incompréhension
Si on caricature, on a des personnes déjà convaincues qui se retrouvent enfermées dans une bulle de filtres, et finissent par adhérer à de multiples théories : les vaccins contre le Covid pour nous injecter la 5G, la terre est plate, le dérèglement climatique n’existe pas…
Derrière toutes ces théories, se cache l’idée qu’un groupe d’individus puissants et malveillants agit dans l’ombre, dans le but de contrôler les populations. Une façon d’expliquer des évènements ou des phénomènes, parfois obscurs et sans réponse évidente. Ça a été le cas avec le Covid par exemple. Nous n’avions que très peu d’infos et les gouvernements n’étaient pas transparents sur la gestion de la crise parce qu’ils avaient du mal à gérer.
Valérie Igounet est historienne et retrace sur le site de l’EHNE, l’origine et la mécanique du complotisme. Elle y creuse aussi dans son article les liens entre ces croyances et la méfiance envers la démocratie.
Parfois, ces idées conspirationnistes peuvent aussi servir un groupe politique. Par exemple, aux États-Unis, de nombreuses théories sont émises par QAnon. Ils en parlaient il y a un quelques semaines dans Complorama sur France Info. Apparu en 2017, il s’agit d’un phénomène complotiste pro-Trump qui vise principalement des personnalités démocrates. Sa théorie phare, attention c’est du lourd : l’existence d’une organisation pédocriminelle sataniste.
Double jeu politique, double méfiance populaire
QAnon a d’ailleurs largement relayé la théorie d’une élection volée en 2020, et ses adeptes se sont mobilisés en première ligne au Capitole. Le phénomène s’est internationalisé ces dernières années, jusqu’à arriver en Europe…
Parce que, oui, le complotisme n’est pas réservé aux États-Unis. Il est tout aussi présent en France. Dans une tribune, publiée dans Le Monde en 2020, la sociologue Eva Illouz analyse le phénomène comme le résultat d’un double jeu des politiques : entre ce qu’ils laissent paraître en public et leurs manigances en « souterrain ».
Si on se penche sur les affaires impliquant des personnalités politiques ces dernières années, on peut comprendre la méfiance à leur égard, au vu de leur nombre : Cahuzac, Sarkozy, Balkany, Kohler, Benalla, les assistants parlementaires du RN, etc… Le complotisme traduirait donc, en partie, une certaine désillusion du système démocratique et de ses représentants.
Quand la méfiance devient systématique
La perte de confiance envers les politiques et les institutions est massive et croissante. La preuve, d’après un sondage Ipsos, 36% des personnes interrogées en France estiment que les élections ne sont pas organisées de manière sécurisée et transparente, et donc que les résultats ne sont pas toujours fiables. Aux Etats-Unis, on monte à 49 %.
Mais les idées conspirationnistes mettent aussi en doute, voire rejettent en bloc, la parole des experts. Je parle ici de personnes qui ont acquis une expertise par leur métier, comme les scientifiques, mais aussi nous autres journalistes. En bref, c’est en quelque sorte un rejet du discours dit « officiel ». Le problème avec les théories du complot, c’est donc que le doute et la méfiance deviennent systématiques.
Pour creuser le sujet conspirationniste et ses effets, on vous invite à aller checker le site de Conspiracy Watch, l’observatoire du conspirationnisme. Ils ont par exemple rédigé une super note sur QAnon.
Alors attention, on ne dit pas qu’il faut mettre de côté tout esprit critique. Remettre en doute, de manière raisonnable, la parole des personnes se disant expertes c’est sain et parfois nécessaire. Genre Didier Raoult au moment de la crise Covid.
Quand on se méfie de tout, c’est tout le système démocratique qui est ébranlé, alors que déjà en perte de vitesse. Et ça, ça ne permet absolument pas un débat public constructif et apaisé, au contraire. Il ne faut par exemple que quelques minutes passées sur le réseau social X, particulièrement depuis qu’il est aux mains d’Elon Musk, pour s’en rendre compte… Et tout ça, en plus d’attaquer la démocratie, ça entâche le vivre-ensemble, comme avec tonton Gégé à Noël.
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Réalisation et montage : Perrine Bontemps
Sources : France Culture, C dans l’air, Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe, Conspiracy Watch, France Info, Brut., Le Monde, Ipsos