Lanceurs d’alerte : qui pour les protéger ?

Les affaires du sang contaminé, du Mediator ou de la Dépakine… Toutes ces révélations ont été rendues possibles grâce à l’action de plusieurs lanceurs d’alerte. Des citoyens engagés qui se mettent en danger sans être toujours armés pour se défendre.

En France, deux lois ont été mises en place pour définir et encadrer le statut juridique de lanceur d’alerte : la loi Sapin 2 en 2016, renforcée par la loi Waserman en 2022. C’est une personne qui va prendre connaissance de faits illégaux ou portant atteinte à l’intérêt général, et qui va tenter de les dénoncer. Pour cela, il va les signaler dans le but de mettre fin à cette situation. Soit à sa hiérarchie (si c’est dans le cadre de son travail) soit aux autorités compétentes.

Avant 2016, il était très difficile d’obtenir ce statut : la procédure n’était pas très claire et aucune autorité spécifique n’était désignée pour accompagner les signalants. Malheureusement, ce n’est pas suffisant. Pour en savoir plus sur le parcours d’obstacles des lanceurs d’alerte, nous avons rencontré Manon Yzermans, responsable juridique et chargée de plaidoyer au sein de la Maison des lanceurs d’alerte.

Les faits dénoncés par ces « citoyens alertants » peuvent être très larges : une atteinte à la loi ou la règlementation française, mais aussi aux traités internationaux adoptés par la France ou toute violation du droit européen. Mais aussi, tout ce qui pourrait porter atteinte à l’intérêt général. Une définition large et un cadre souple pour faciliter ces alertes.

La loi est plutôt bien ficelée selon Manon Yzermans. Son cadre et ses prérogatives mais aussi, poussé par des demandes de la société civile, des exigences d’accompagnement. Tout lanceur d’alerte est censé pouvoir avoir un soutien psychologique et financier pendant ses démarches. Un accompagnement et une enveloppe budgétaire qu’elle dit inexistante dans les quelques institutions censées protéger ces alertants. En effet, si la loi Waserman de 2022 oblige l’Etat à financer ce soutien, aucune application de celle-ci ni aucun budget dédié n’ont été notés par l’association.

En attendant que ça s’améliore, la Maison des lanceurs d’alerte (MLA) accompagne les signalants. Elle peut être saisie à tout moment de la démarche, mais l’idéal, c’est quand même de le faire avant même toute procédure. C’est la meilleure façon d’être accompagné au mieux, et d’être sûr de remplir tous les critères pour avoir le statut. Des conditions somme toute assez strictes : être une personne physique, avoir une démarche de bonne foi, une absence de contrepartie financière directe et une connaissance personnelle des faits (hors cadre professionnel) ET avoir saisi une autorité externe figurant dans la liste officielle. On vous a perdu ? C’est pour ça qu’il faut parler à la MLA.

Et si leur accompagnement des lanceurs est central, l’association s’occupe aussi de faire du plaidoyer sur le sujet auprès des pouvoirs publics, de former les journalistes aux enjeux juridiques liés au statut. Elle fait aussi le lien avec les ONG de lutte contre la corruption, à l’image d’Anticor dont on vous a déjà parlé cette année. Une lourde tâche pour une petite structure déjà très sollicitée.

Les gens face au temps judiciaire

Depuis la création de sa plateforme en ligne il y a 5 ans, la Maison des lanceurs d’alerte a reçu plus de 850 signalements. Fin 2024, plus de 400 d’entre eux répondaient « sur le papier » à ce statut selon l’association. Des démarches encore en cours pour la plupart d’entre elles. Temps judiciaire oblige. Et leur accompagnement est plus que nécessaire.

Parmi ces personnes accompagnées par la Maison des lanceurs d’alerte, on peut citer l’exemple d’Hervé*. Salarié chez Veolia, il a d’abord signalé en interne plusieurs dysfonctionnements, avant de saisir l’Anses et la Défenseure des droits face à l’inaction de l’entreprise. Une affaire relayée par Mediapart et Ram05 (radio locale). Après ces révélations, Hervé a été licencié. Mais lundi 27 janvier 2024, le Conseil des Prud’hommes de Gap a rendu un jugement favorable dans l’affaire, en reconnaissant à la fois son statut de lanceur d’alerte et l’illégalité de son licenciement. Sa réintégration dans l’entreprise devrait donc avoir lieu, sauf si Veolia fait appel… Hervé, c’est le cas typique d’après Manon Yzermans.

Des gardiens de la démocratie qui, malgré un cadre législatif fort, ont besoin d’accompagnement. D’autant que, comme le dit Manon Yzermans, les révélations sont d’intérêt général et nous concernent toutes et tous. Corruption, santé, environnement, heureusement que ces individus prennent leur courage à deux mains pour révéler ces atteintes et participent ainsi, à leurs dépends, à rendre les puissants plus transparents.

Réalisation et montage : Perrine Bontemps

*le prénom a été modifié pour le protéger de représailles