Éducation aux médias : sans pass, ça casse

Pour nos jeunes, la fin de l’année scolaire approche et apparemment aussi, celle du pass Culture. Pas uniquement ce chèque ponctuel qu’on donne aux jeunes pour « s’acheter de la Culture » mais aussi une part collective destinée aux établissements scolaires. Des millions d’euros destinés à lancer des projets culturels, artistiques ou médiatiques avec les élèves. Un budget annuel, gelé en janvier et en danger pour l’année scolaire à venir. Une tendance inquiétante, surtout pour l’éducation aux médias (EMI), enseignement essentiel à l’éducation citoyenne.

On a suivi Waël Sghaier du Bondy Blog – un média avec qui on travaille souvent, pour info/transparence – dans un de ses ateliers « Podcast » au lycée Jean Renoir de Bondy. L’occasion de montrer ce que permet cette enveloppe du ministère de la culture : former nos jeunes autrement, leur donner confiance en eux, écouter leurs récits et leurs idées. Le tout en les sensibilisant à la fabrique de l’info. De quoi donner envie de maintenir ces ateliers, non ?

Le pass Culture a été lancé en 2021 et permet, depuis, de démocratiser l’éducation artistique, culturelle et médiatique auprès des jeunes. Des occasions, souvent ludiques pour les faire interagir et apprendre avec des professionnels de la Culture et des médias. Chose que des enseignants ne peuvent pas faire dans leurs cours d’EMI traditionnels. Et c’est pour ça qu’ils passent par des médias comme le Bondy Blog ou ou des assos de journalistes comme Fake Off, et donc par le budget du pass culture. Une démarche essentielle pour développer l’esprit critique des jeunes, leur usage des réseaux et des médias mais aussi en apprendre sur leurs réalités. Les faire participer, eux aussi, à des récits médiatiques.

Le Bondy Blog et son équipe insistent sur l’intérêt médiatique de ces ateliers. Plus qu’enseigner le journalisme ou sensibiliser aux fake news, les journalistes ou intervenants viennent construire des journaux, émissions ou vidéos avec les jeunes. On voulait voir ce que ça pouvait donner comme « objets médiatiques » avec cette émission réalisée par des 1ère STMG à Bondy. Et on n’a pas été déçus.

Raconter « la banlieue » sans étiquette

On a pu voir évoluer la pertinence des sujets traités, la confiance des jeunes mais aussi leur familiarité avec les outils médiatiques. Manel et Ayoub, deux lycéens participants au projet, l’ont d’ailleurs très bien expliqué. Avec le Bondy Blog, ils en ont beaucoup appris sur les médias, la diversité des métiers de l’information comme des sujets à traiter.

Une expérience enrichissante pour une bonne moitié de la classe, celle qui a voulu se prêter au jeu de la création d’une émission de radio. Après force d’exercices de réflexions, de débats mouvants, d’entraînement avec le matériel radio, le résultat est assez bluffant : l’enregistrement de leur projet, dans les conditions du direct, dans les bureaux du Bondy Blog. Une émission d’abord focalisée sur la légitimité (ou non) du port d’arme a évolué sur la place des femmes en banlieue. Un sujet beaucoup plus proche de la réalité des jeunes du lycée Jean Renoir de Bondy. L’autre groupe s’est attardé sur une figure marseillaise et populaire du Rap français.

Des étiquettes, ces jeunes en reçoivent beaucoup, souvent malgré eux. C’est aussi ce qu’ils nous racontent en filigrane de ces ateliers. Prendre la parole, se raconter, eux et « leur » actualité, c’est aussi reprendre du pouvoir sur le récit médiatique des quartiers populaires. Et c’est aussi le rôle de l’éducation aux médias à la sauce « Bondy Blog ». Sarah Ichou et son équipe s’appliquent à raconter les quartiers depuis 2005, et la mort de Zyed et Bouna à Clichy-Sous-Bois. 20 ans pour parler des banlieues autrement, y compris avec les plus jeunes. A la fois en ateliers comme dans ce lycée mais aussi en réunion de rédaction « ouverte » dans leur média, tous les mardis soir.

Développer d »autres « savoirs-être »

Une démarche qui a tout de suite plu à Nadia Kechichat, l’enseignante du lycée Jean Renoir à l’initiative de ces ateliers.

C’est aussi ça l’intérêt du pass Culture et de ces ateliers culturels ou artistiques. Comme le souligne bien l’enseignante, les élèves développent des compétences, engrangent d’autres connaissances que celles des programmes. Des « savoirs-être » tout aussi importants que les formules mathématiques ou grammaticales qu’on leur impose, déjà, depuis des années. Un travail qui sert aussi, selon elle, à lutter contre la désinformation, à affiner l’usage des réseaux et donc à former des citoyens plus éveillés.

Malheureusement, comme nous le rappelle Sarah Ichou, « sans budget c’est compliqué de faire vivre ces projets. » Le pass Culture permet d’externaliser, auprès de professionnels, certaines activités culturelles, de diversifier et surtout de personnaliser les programmes et activités en fonction des classes et besoins. Le tout avec la plus grande latitude de la part des établissements scolaires, en fonction de leurs enveloppes budgétaires.

Réduire le pass Culture, tant sa part individuelle que collective, c’est encore une fois tailler dans l’éducation de nos enfants, des futurs citoyens. C’est aussi un manque à gagner pour de nombreuses associations, médias et acteurs culturels qui attendent de voir à quelle sauce ils seront mangés, à la rentrée. Une « zone d’éducation » culturelle plus que prioritaire et à défendre.

Réalisation et montage : Elliot Clarke