Une coopérative funéraire, c’est mortel

La mort, c’est comme l’argent, c’est encore très tabou en France. Et surtout, on y est peu préparés. Heureusement, certains citoyens essaient d’y remédier. Nous sommes allés à la rencontre de la Coopérative funéraire de Rennes. Ce groupe de sociétaires tente d’insuffler plus de démocratie et de légèreté dans le secteur. Une démarche d’importance à l’heure où des entreprises funéraires se font épingler pour leurs pratiques, comme le dénonçait récemment le livre des journalistes Matthieu Slisse et Brianne Huguerre-Cousin, Les Charognards.

On a voulu comprendre la place des coopératives dans le vaste et compétitif milieu funéraire mais surtout comment changer la place de la mort dans nos vies. C’est pour ça qu’on est allé dans leurs locaux au nord de Rennes, mais surtout assister à un de leur café mortel.

« On veut que la question de la mort sur notre territoire devienne presque un sujet du quotidien », nous raconte Grégory Nieuvarts, cofondateur de la Coopérative funéraire de Rennes. « Un espace où l’on puisse avoir des repères et un accès transparent à l’information. » En 2020, le collectif rennais se lance dans l’aventure coopérative avec un modèle en tête : le Québec, où les coopératives funéraires existent déjà depuis une cinquantaine d’années. Alors qu’à ce moment-là, en France, il n’en existe qu’une à Nantes. Ils décident de se lancer sous forme de SCIC (société coopérative d’intérêt collectif) ce qui leur permet d’ouvrir les parts à différents profils.

Vilaine frayeur, joli moment

L’entreprise est donc détenue  aujourd’hui à 30 % par ses fondatrices, 30 % par les salariés, 25 % par les familles bénéficiaires et 15 % par des structures partenaires. Chaque sociétaire peut ainsi participer à la prise de décision mais aussi s’impliquer dans la coopérative. Ce qui explique en partie la diversité d’activités qu’elle porte. Parce qu’on ne parle pas seulement d’acheter un cercueil ou d’organiser des obsèques, il s’agit aussi de démocratiser la mort. Pour cela, la coop’ organise des temps de partage et d’information, comme le Festival de la Mort ou les cafés mortels.

Ces temps d’information conviviaux, la coopérative funéraire les organise dans des lieux de convivialité et s’arrange pour les rendre bien vivants. Mission réussie : la salle est comble en cette fin octobre lors du festival La vilaine frayeur organisé aux Ateliers du vent. Louise Katz, journaliste, anime une table ronde, des représentations traitent avec humour de la question de la Mort. « J’adore l’ambiance : café, on discute, on rigole. Moi, je ne parle pas tellement de la mort autour de moi, mais là, ici je peux y aller. » Armina est retraitée, sociétaire de la coopérative et convaincue de longue date des bienfaits de tels événements. D’autant qu’ils sont gratuits.

Ankou gouvernance, RH ou « fun »

Un point d’honneur à la coopérative nous précise Isabelle Bertrand, l’une des cofondatrices. Contrairement à des cafés mortels « professionnels », ceux de la coop’ sont animés par des bénévoles, un désir d’accessibilité qui se reflète dans toute la structure.

Les sociétaires membres peuvent alors rejoindre des commissions, un peu comme celles qu’avait mis en place l’équipe du Pain des Cairns à Grenoble. Dans la coopérative rennaise, elles sont appelées « Ankou » (figure de la « mort » dans la mythologie bretonne/celtique). L’Ankou « gouvernance » gère l’organisation collective, l’Ankou « RH », le relationnel et ils ont même mis en place un Ankou « fun ». Cette commission a, par exemple, repensé l’espace d’accueil des familles des locaux de la coopérative. Les bénéficiaires peuvent y personnaliser des cercueils. Une famille dessine d’ailleurs des éléments de décoration lors de notre passage discret dans ses préparatifs. Les outils sont à portée et c’est important pour Grégory Nieuvarts, pour que « ça puisse faire infuser des désirs ou de se dire “ah tiens, je peux graver”. “Beh oui, je peux graver” “ah je peux faire ça”… Ça ouvre plein de portes quoi.« 

Démocratiser la mort, ça marche

Rendre ce temps de deuil plus convivial pour celles et ceux qui restent, faciliter ces moments difficiles et faire communauté sont les maîtres mots des sociétaires. Et c’est aussi pour ça qu’Armina adhère.

Grégory Nieuvart en est aussi persuadé. Il définit cette coopérative comme un écrin pour les premièr-es concerné-es, un espace d’action et de formation pour les familles et leurs proches. Un accompagnement et une démocratisation de la mort demande beaucoup de préparation pour les « usagers » de la coop’. Un investissement humain des sociétaires qui n’empêche pas la structure de faire du profit (+37k en résultat net en 2024) mais « le profit va rester à l’intérieur de la coopérative, donc elle va servir le territoire ». Une manière de dire que ce sont sociétaires et usagers qui bénéficient localement du succès de l’entreprise collective et de sa méthodologie innovante dans un secteur qu’on n’imaginait pas porteur d’engagement.

C’est pourtant une des choses qui émerveille encore Isabelle Bertrand, six ans après le dépôt des statuts en 2019 : la fidélité des sociétaires. Certains reviennent à chaque café, livrent leurs témoignages, sans retenue. « C’est l’objectif qu’on s’est donné, mais moi ça me touche à chaque fois. » Un espace de bienveillance et de partage qui a fini de nous convaincre lors de la clôture de ce café mortel, en chanson.

Réalisation et montage : Perrine Bontemps / Article : Elliot Clarke